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euclidien est seul homogène, car la possibilité de construire une figure à diverses échelles est liée à la théorie des parallèles et au postulatum d’Euclide. Dans les espaces non euclidiens il est impossible de réduire, par exemple de moitié, les dimensions d’une figure et de conserver les angles. On exprime souvent cette idée en disant que, dans l’espace euclidien, l’étendue d’une figure est relative, tandis que dans les autres espaces les figures ont des dimensions absolues.

V

La géométrie générale étant ainsi constituée en dehors de toute base expérimentale, il y a lieu de se demander quelle est la géométrie particulière réalisée dans le monde matériel. Les divers espaces géométriques dont nous avons trouvé les lois générales, ne peuvent exister à la fois, puisqu’ils ne peuvent pas recevoir les mêmes formes ; pour savoir lequel de ces espaces contient les corps que nous voyons autour de nous, il faut nécessairement s’adresser à l’expérience. Plusieurs géomètres, il est vrai, ont admis qu’avant toute connaissance géométrique, et même avant toute expérience, nous avions sur notre espace un certain nombre de vues a priori, que notamment la relativité des dimensions des corps, c’est-à-dire l’homogénéité de l’espace, était chez nous une sorte de notion intuitive liée à la forme même de notre esprit : c’est là un point sur lequel nous reviendrons tout à l’heure ; mais, quoi qu’il en soit de cette notion, il est beaucoup plus conforme à la rigueur scientifique d’établir d’abord, comme nous l’avons indiqué, en dehors de son fait expérimental et de toute idée préconçue, la géométrie générale des divers espaces et de rechercher ensuite, par l’observation, la géométrie particulière de notre espace.

On est ainsi amené à conclure que, dans la mesure de précision de nos instruments et de nos méthodes d’observation, notre espace ne diffère pas de l’espace euclidien ou homogène : nous avons dit que l’existence d’un seul triangle ayant une somme d’angles égale à deux angles droits suffisait pour caractériser l’espace euclidien : c’est là le mode de vérification le plus simple et c’est celui qu’on a employé en choisissant un des plus grands triangles que la science astronomique puisse observer et mesurer ; il est en effet très important de choisir un triangle de très grands côtés, car, dans les espaces non euclidiens, les triangles ont une somme d’angles d’autant plus voisine de deux angles droits qu’ils sont plus petits.

Ceci dit, il serait tout à fait puéril de s’étonner que l’expérience soit ainsi d’accord avec notre notion antérieure de l’homogénéité de l’espace ; il en est en effet de cette notion comme de beaucoup