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spontanée. Ce qui est particulier à cette forme d’attention, que j’appellerais volontiers l’attention indirecte, c’est un sentiment souvent fort pénible de gêne et d’effort : il apparaît quand la représentation dominante est en elle-même de très faible intensité et qu’elle emprunte toute sa force aux sentiments et aux désirs auxquels elle est associée. Il importe en effet de distinguer entre deux formes du sentiment de l’effort : le sentiment de l’effort musculaire, comme les travaux de W. James et des expériences plus récentes l’ont établi, peut se ramener tout entier à des sensations musculaires et tactiles, il disparaît chez les anesthésiques. Mais à côté de ce sentiment il en existe un autre, un sentiment de l’effort cérébral, du fonctionnement plus ou moins aisé des centres sensitifs et des centres moteurs, et c’est de celui-là seulement que je veux parler ici. Il me semble impossible d’admettre comme M. Ribot que : « Le maximum d’attention spontanée et le maximum d’attention volontaire sont parfaitement antithétiques, l’une allant dans le sens de la plus forte attraction, l’autre dans le sens de la plus forte résistance. » C’est toujours la force la plus grande qui détermine la direction et le sens de l’attention, mais, tandis que dans le cas de l’attention spontanée, l’esprit est entraîné par une représentation et fixé par elle-même du premier coup, dans le cas de l’attention indirecte, il lutte contre la représentation qui veut s’imposer à lui, il résiste ; cette résistance le fatigue, lui donne une conscience plus vive des représentations antagoniques et crée en lui l’illusion qu’il est la cause de son attention, que c’est lui qui l’a voulue.

L’attention indirecte prédomine chez le sauvage, chez l’enfant, chez la femme, d’une manière générale chez tous les êtres émotifs : ils sont cependant capables d’attention directe, mais elle n’est guère déterminée chez eux que par les sensations vives et les images d’une extrême intensité. Les deux formes de l’attention se développent parallèlement l’une à l’autre, mais le développement de l’attention directe, de la pure attention représentative est beaucoup plus lent. D’une manière générale l’attention devient plus facile, parce que les associations fonctionnelles des centres sont devenues plus étroites, mais il faut bien remarquer que lorsque nous voulons appliquer notre attention à un ordre d’idées qui ne nous est pas familier, il nous faut faire un nouvel apprentissage ; ce n’est point la même chose d’être attentif aux particularités paléographiques d’un mot grec ou aux changements de couleur d’un précipité ; tel mathématicien qui ne saurait commettre une erreur de calcul n’entendra pas un bruit qui n’échappera pas à l’oreille d’un chasseur. Mais les deux formes d’attention sont également capables d’éducation ; toutes deux