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de l’état de conscience, c’est une chance de plus pour lui de renaître fréquemment et de se maintenir longtemps. Ce mécanisme entre en action pour produire l’attention : le plaisir que nous trouvons à certaines images, à certaines idées, crée en nous le désir qu’elles dominent nos autres représentations, qu’elles se les soumettent et les effacent en quelque sorte ; le désir agit alors dans le même sens que l’image, il contribue à donner à notre pensée plus d’unité et de cohésion encore, à rendre notre attention plus profonde. Mais ce qui prouve bien que ce n’est là qu’un phénomène d’importance secondaire, c’est que les émotions tristes et pénibles ont une action presque identique, tant il est vrai que c’est de la quantité des états de conscience bien plus que de leur qualité qu’il convient de tenir compte ici. Il nous semble bien au reste que d’une manière générale il faille considérer les émotions comme des résultats plutôt que comme des causes ; ce sont des phénomènes qui n’existent pas à part des autres phénomènes psychiques, à côté d’eux ; ce sont les formes diverses que prennent dans la conscience nos tendances bien ou mal satisfaites, nos représentations en lutte ou en harmonie. Les modifications vasculaires et motrices qui accompagnent les émotions ne les expriment pas seulement, elles les produisent, elles en sont la vraie base physiologique. La crainte, c’est la pâleur, la sueur abondante et froide, la contraction violente des muscles de la vie organique ; la colère, c’est la dilatation de tous les vaisseaux, les cris, les grands mouvements des membres ; mais ces phénomènes eux-mêmes sont dus à l’excitation des centres sensitifs et moteurs de l’écorce cérébrale. Ainsi en est-il pour l’attention ; si elle est fréquemment accompagnée d’émotions très vives, c’est surtout parce qu’elle correspond à une excitation forte des centres corticaux et que cette excitation détermine des modifications circulatoires et des contractions musculaires d’une grande intensité. L’attention est difficile aux gens émotifs, c’est là un fait très connu ; la raison en est simple ; les réactions émotionnelles prennent bientôt pour eux une importance plus grande que l’état de conscience qui les a causées, ou, si l’on veut, les sensations affectives liées à l’état des vaisseaux, des muscles et des viscères, deviennent plus intenses que l’image ou l’idée qui leur a donné naissance ; elle est réduite, rejetée au second plan et l’attention ne peut se maintenir. Remarquez aussi que parmi les vaisseaux qui se dilatent ou se resserrent, se trouvent les vaisseaux encéphaliques et que les troubles de la circulation cérébrale réagissent puissamment sur l’attention. Une représentation d’intensité moyenne en arrivera ainsi à se réduire elle-même à l’impuissance. Chez les gens très calmes, très froids, très difficiles à émouvoir, l’attention est au contraire