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MARILLIER.sur le mécanisme de l’attention

cortège pendant de longues heures, c’est que cette succession d’images constitue pour lui un ensemble de représentations d’une intensité incomparable à celle de tous les états de conscience qui coexistent avec lui. Dès que l’esprit est occupé en même temps par deux représentations d’intensité voisine, qui tendent à le fixer, l’effort et la fatigue apparaissent, à moins cependant que les deux ensembles d’images et d’idées puissent coexister sans influer presque l’un sur l’autre. Mais si cette dissociation du moi ne s’effectue pas, l’équilibre mental ne pourra s’établir que lentement, péniblement : de là ce sentiment de lassitude extrême que l’on éprouve bientôt.

Ce qui est vrai, c’est que l’on ne saurait parler de la grandeur d’une représentation, abstraction faite de l’individu qui en est le sujet. J’ai déjà fait remarquer qu’il ne fallait pas, pour apprécier l’intensité d’une représentation, tenir compte seulement de son intensité propre, mais aussi de celle de toutes les représentations et de toutes les tendances qui lui sont plus ou moins étroitement associées. Or ces associations varient d’un homme à l’autre. Ce ne sont pas au reste les mêmes tendances, les mêmes instincts, les mêmes images, les mêmes idées qui agissent sur tous au même degré : ce sont là des faits trop connus pour qu’il soit utile d’y insister. L’intensité d’une même idée n’est pas constante chez un même individu, elle varie sans cesse sous l’action des sensations externes, sous l’action aussi de toutes les modifications du système nerveux et du système circulatoire ; mais on peut cependant déterminer d’une manière générale quels sont les mobiles qui agissent d’ordinaire sur un esprit donné avec la plus grande force. C’est donc le caractère d’un homme, c’est la tournure de son intelligence et de son imagination, qui détermineront en partie l’intensité de ses représentations, qui feront telle ou telle idée plus habituellement prépondérante dans son esprit, et qui dirigeront par conséquent son attention dans telle ou telle direction ; c’est de l’intensité des excitations cérébrales et non pas de l’intensité des excitants que j’ai voulu seulement parler. Mais je ne vois pas qu’il résulte de ce fait, non plus que de ceux que je viens d’analyser, que ce soit nécessairement une émotion qui produise l’attention.

Ce n’est pas à dire que les émotions ne jouent aucun rôle dans la genèse de l’attention, mais le rôle qu’elles jouent est moins important qu’il ne semble ; c’est après tout un rôle secondaire. Toutes les fois que le souvenir d’une émotion agréable s’associe à celui d’un état de conscience, il naît en nous un désir de voir réapparaître cet état de conscience ; l’intensité du désir s’ajoute à l’intensité propre