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inégale. « Ce n’est pas l’intensité seule qui agit, mais avant tout notre adaptation, c’est-à-dire nos tendances contrariées ou satisfaites. » Telle est la thèse que soutient M. Ribot. Mais il semble bien qu’il n’y ait pas une rigoureuse concordance entre l’adaptation motrice et l’attention intellectuelle ; c’est du moins ce que j’ai essayé d’établir. Il est constant au reste que les images ou les sensations qui nous inspirent de l’horreur et de l’effroi fixent tout aussi complètement notre attention que celles qui nous font heureux et gais ; il ne s’agit donc ici que de l’intensité de l’impression produite sur nous, et non pas de sa qualité affective. Si c’est d’ordinaire par des états de conscience qui entraînent avec eux de vives émotions que l’attention est engendrée, c’est qu’il est fort rare qu’une impression forte nous laisse indifférents. Mais, bien souvent, c’est par des idées qui ne nous émeuvent, ni ne nous touchent, que l’attention est créée ; dans le cas de l’idée fixe, il arrive fréquemment qu’elle était au début tout à fait indifférente au malade ; ce n’est que par sa persistance qu’elle devient douloureuse et à la longue insupportable. Lorsque notre attention est distraite et troublée par le bruit que l’on fait auprès de nous, ce bruit sans doute nous ennuie, parce qu’il nous empêche de nous appliquer à notre travail, mais ce n’est pas parce qu’il nous ennuie, qu’il nous force à n’être pas attentifs ; s’il nous fâche et nous gêne, c’est tout au contraire parce que, en raison de son intensité, il sollicite notre attention et la tire toute à lui. Si l’idée qui a éveillé notre attention est une idée qui nous est entièrement nouvelle, qui n’est liée étroitement à aucun de nos états de conscience, elle pourra bien pour un instant effacer toutes les autres images, toutes les autres idées, en raison de sa nouveauté et de sa fraîcheur même et parce qu’elle sera lente à évoquer d’autres représentations, mais une fois rejetée au second plan, elle ne reviendra plus en pleine lumière ; aussi est-elle incapable de fixer longtemps notre esprit. C’est en ce sens qu’il est très exact de dire que les représentations qui sont les plus capables de produire une attention profonde et soutenue sont celles qui sont associées à nos instincts, à nos tendances motrices dominantes, mais si elles peuvent ainsi maintenir longtemps notre attention éveillée, ce n’est pas parce qu’elles sont des états affectifs, mais bien plutôt parce qu’elles sont liées à des états de conscience permanents et stables. Je ne vois pas bien comment de ce fait que l’attention spontanée est aisée et sans effort, on peut conclure qu’elle a son origine dans une émotion. L’attention spontanée, c’est l’attention qui s’établit d’emblée, sans lutte ni conflit ; elle est déterminée par une extrême différence d’intensité entre les représentations à un moment donné ; si le badaud regarde, sans se lasser, défiler un