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MARILLIER.sur le mécanisme de l’attention

qu’il est rare que ces idées fixes se traduisent au dehors par des actes : elles ont cependant des réactions émotionnelles d’une intensité extrême. Elles peuvent coexister dans un même esprit avec des impulsions motrices (tics, rires ou pleurs irrésistibles, dipsomanie, impulsions suicides ou homicides, etc.), ou alterner avec elles, mais elles en sont relativement indépendantes, bien qu’elles aient leur cause commune dans la dégénérescence du système nerveux. Il ne semble même pas qu’il y ait une liaison étroite entre les idées fixes et l’aboulie. Il y a des dégénérés qui, l’esprit sans cesse obsédé d’une même idée, ont gardé cependant le pouvoir d’agir ; il y a lutte entre leurs tendances motrices, leurs instincts d’une part et leurs idées fixes de l’autre et il arrive que l’idée fixe ne soit pas la plus forte, qu’elle ne parvienne pas à inhiber le mouvement. Très souvent aussi l’adaptation de l’organisme, qui est, d’après M. Ribot, la caractéristique de l’attention, fait presque entièrement défaut. La seule chose qu’il faille retenir de ces quelques faits, c’est que les deux mécanismes corticaux, le sensitif et le moteur, sont moins étroitement unis qu’il ne semble tout d’abord, et que c’est essentiellement de l’action des centres sensitifs ou représentatifs les uns sur les autres que dépend l’attention, aussi bien sous ses formes pathologiques, que sous sa forme normale.

Si l’on admet que l’interprétation que j’ai donnée de l’attention est exacte, il devient fort difficile d’admettre en même temps que l’attention a toujours sa racine, sa cause première dans une émotion ; il devient nécessaire pour les partisans de cette théorie de démontrer directement que l’attention a toujours pour condition un état affectif antérieur, que, sans cet état affectif, elle ne serait qu’un effet sans cause ; ce n’est pas là, quoi qu’il puisse sembler, une vérité évidente à crever les yeux. M. Ribot fait remarquer qu’il est impossible de soutenir qu’une sensation puisse en raison de son intensité se transformer en attention ; cela est évident de soi, l’attention est un état intellectuel qui résulte des relations qui existent entre diverses sensations ou idées, on ne voit pas comment une sensation pourrait devenir un tel état ; mais il n’en résulte point que ce ne soit pas en raison de son intensité, de sa quantité, qu’une sensation détermine cette coordination et cet arrêt des états de conscience qui constituent l’attention. Si un homme était incapable de plaisir ou de peine, il serait incapable d’attention, dit M. Ribot ; il ne pourrait exister pour lui que des états plus intenses que les autres, ce qui est tout différent. Éprouver successivement des sensations d’intensité variable, c’est en effet chose toute différente de l’attention, mais M. Ribot ne prouve pas que l’attention ne puisse pas s’expliquer par la coexistence dans la conscience de représentations d’intensité