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bien la manifestation de tendances existantes et qui existe bien en lui-même et se relie à la veille par des liens étroits. Mais il nous arrive encore quelquefois de ne pas bien discerner la vie réelle et le rêve à propos d’une image vague, d’une représentation que nous ne parvenons pas à rattacher à quelque événement authentiquement réel ; il nous arrive de nous demander si nous nous souvenons d’un fait réel ou d’un rêve. Chez l’enfant la confusion est bien plus grande, chez le tout jeune enfant elle est fréquemment complète, comme j’ai pu le constater plusieurs fois. Un enfant se réveille au milieu de la nuit en vous disant qu’il a vu une bête dans son lit ou quelque chose de semblable, ou qu’il était à jouer, et l’on a beaucoup de peine à lui faire comprendre ou au moins croire qu’il se trompe. Mais l’idée de réalité n’est pas plus formée chez lui que celle du rêve. Il en est un peu de même chez l’homme primitif, — j’entends chez l’homme pour qui ces conceptions sont nouvelles, et cette nature mal reconnue de lune et de l’autre aide puissamment à la confusion des deux. Toutefois il n’est pas difficile de croire que la confusion doit bientôt au moins n’être pas absolument complète. Les images de la réalité, les actes, tout ce que l’on peut constater prend plus de relief et de régularité, bien que la nature avec ses lois immuables, telle que nous la concevons à présent, soit évidemment une conception abstraite bien postérieure. Aussi souvent le corps propre de Tûme, c’est-à-dire l’âme elle-même est-elle représentée comme une forme vague. M. Tylor, qui a réuni une immense quantité de faits se rapportant à ces croyances à l’âme, pense que, « chez les races grossières, on parait avoir d’abord connu l’âme comme étant à l’état éthéré ou de matérialité vaporeuse, et cette idée n’a cessé depuis d’être fort répandue. En fait, l’opinion métaphysique plus récente de l’immatérialité n’aurait eu aucun sens pour le sauvage ». « Il semble, ajoute M. Tylor, que, suivant les idées systématiques de certaines écoles de la philosophie civilisée, les définitions transcendantes de l’âme immatérielle aient été obtenues par l’abstraction de la conception primitive de l’âme éthéréo-matêrielle, de façon à la faire passer d’une entité physique à une entité métaphysique[1]. »

Il n’est pas utile de rapporter longuement ici les différentes pratiques engendrées par cette conception de l’âme ; rappelons seulement les statues que les Égyptiens mettaient dans les tombes pour permettre à l’âme de les animer, les vivres qu’il était de coutume générale de laisser auprès des morts, l’obole destinée à payer le passage du Styx, les sacrifices humains qui envoyaient aux morts

  1. Tylor, ouv. cité, p. 531.