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MARILLIER.sur le mécanisme de l’attention

Inhibition partielle des autres centres sensitifs par le centre sensitif le plus irrité, transmission de l’excitation à une région nettement circonscrite des centres moteurs, telle est la double condition qui doit être réalisée pour que, sous l’influence d’une représentation prédominante, tous les mouvements s’adaptent à un même but. Mais il n’est pas nécessaire qu’une représentation intervienne pour diriger et coordonner les mouvements ; les tendances motrices s’harmonisent et se coordonnent elles-mêmes en raison des associations fonctionnelles des centres où elles ont leurs sièges. Tous les mouvements d’un homme peuvent donc être concentrés vers un même but, tous ses actes être adaptés à une même fin, et ses idées, ses images se succéder rapides, incohérentes, presque sans lien apparent. Il peut y avoir attention et même attention profonde sans qu’il y ait adaptation des mouvements à un but ; il peut y avoir concentration des mouvements sans qu’il y ait attention. J’ajoute que les deux phénomènes peuvent coexister, et rester cependant indépendants l’un de l’autre, comme je l’ai indiqué plus haut.

On peut rêver ou bien réfléchir en marchant : c’est là un fait banal, mais qui me paraît avoir une grande importance, car il montre en quelle large mesure les phénomènes moteurs sont indépendants de l’état intellectuel ; nous pouvons accomplir sans y songer les actes les plus compliqués, pour peu qu’ils nous soient habituels, et nos pensées peuvent pendant ce temps errer à leur fantaisie, se chasser les unes les autres sans que la cohérence de nos mouvement en souffre le moins du monde. Cette indépendance réciproque des représentations et des mouvements m’est une raison de plus pour croire bien fondée l’opinion que je soutiens sur la nature et les causes de l’attention ; je ne vois pas qu’il y ait au reste aucune preuve que les troubles de la motilité diminuent la puissance d’être attentif ; aucune observation directe n’est venue l’établir. Ferrier fait remarquer, il est vrai, que les aphasiques sont incapables de penser avec suite, mais il semble que ce n’est pas parce qu’ils ne peuvent pas parler, mais parce que les images des mots (images auditives, visuelles ou motrices) ont disparu de leur mémoire ; l’aphasie est avant tout une maladie de la mémoire. Toutes les lésions des lobes frontaux entraînent une diminution notable de l’attention, et c’est dans les lobes frontaux que Ferrier situe les centres frénateurs du mouvement volontaire ; on a voulu trouver là un argument pour faire du mécanisme de l’attention un mécanisme moteur ; mais voici exactement en quels termes Ferrier s’exprime : « L’ablation des lobes frontaux… entraîne une sorte de dégénérescence mentale qui peut se réduire en dernière analyse à la perte de