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de toutes les impressions, si les bruits, les odeurs, les sensations viscérales retentissent avec intensité dans tout son organisme cérébral, aucune représentation ne pourra rester longtemps prédominante dans son esprit ; l’agrégat de ses images et de ses idées se défera et se refera sans cesse, sa conscience très forte restera confuse, et l’attention s’accompagnera pour lui d’un sentiment de fatigue extrême ; elle sera au reste toujours incomplète, hésitante, partagée. Lorsqu’un esprit est très fertile en images, lorsqu’elles jaillissent à tout instant jamais épuisées, lorsque les associations, très lâches et très flottantes, sont très nombreuses et très aisées, lorsqu’elles se font en tous sens, que les images et les idées éveillent sans cesse d’autres idées et d’autres images dans toutes les directions, alors aussi l’attention est difficile, mais le sentiment d’effort et de fatigue dont nous parlions tout à l’heure, on ne l’éprouvera pas, c’est que la lutte d’une idée contre les sensations du dehors ne se produira pas, elle n’a pas le temps de se produire : chaque image chasse devant elle l’image qui occupait l’esprit l’instant d’avant ; aucun état de conscience ne peut devenir prédominant, ceux qu’il évoque le poussent devant eux, le pressent de quitter la scène et de leur faire place. C’est dans certaines formes d’aliénation mentale, dans le délire maniaque par exemple, que nous voyons complètement réalisé cet état étrange d’instabilité mentale, où aucune image, aucune idée ne peut se maintenir au premier plan pendant un instant si court qu’il soit à peine une idée apparaît-elle qu’elle est déjà remplacée par une autre. L’attention est alors impossible ; elle est impossible parce que toutes les représentations ont même intensité ou peu s’en faut, elle est impossible aussi parce que ces représentations se succèdent avec une telle rapidité qu’aucune d’entre elles ne peut agir assez longtemps pour réduire et faire passer au second plan les représentations rivales. Il semble aussi que, pour qu’il y ait attention, il soit nécessaire que les représentations atteignent un certain degré d’intensité ; lorsque toutes les représentations sont très faibles, l’attention a grand’peine à s’établir, et cela parce qu’une image ou une idée de faible intensité cesse très rapidement d’être consciente et ne peut par conséquent agir assez longtemps pour déterminer ce groupement des images, cette subordination à un seul de tous les états de conscience qui constitue l’attention. Une représentation de durée très brève, mais de grande intensité, peut jouer le même rôle qu’une représentation qui persiste plus longtemps, mais qui est moins forte qu’elle ; une sensation violente, si courte soit-elle, peut temporairement faire disparaître toutes les images, toutes les idées, rejeter même à demi dans l’inconscience