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une grandeur égale ; le contraste entre cette représentation et l’ensemble des images et des idées sera donc moins frappant et par suite l’attention moins parfaite. En revanche, plus l’idée qui crée en nous l’attention sera complexe, plus l’attention pourra se soutenir longtemps, à supposer toutefois que cette idée ait une intensité suffisante. La conscience en effet ne vit que de changement ; si donc une image persiste longtemps, elle cesse d’être clairement consciente, son intensité diminue, l’action qu’elle exerçait sur les autres représentations devient moins énergique, et l’attention faiblit. Si, au contraire, on a affaire à une idée assez compliquée pour qu’elle puisse apparaître sans cesse sous des aspects quelque peu différents les uns des autres, elle peut garder beaucoup plus longtemps toute sa force et par suite maintenir plus aisément l’esprit attentif. S’il existe, ce qui est assez fréquent, dans un même esprit deux ou plusieurs représentations d’intensité sensiblement égale, l’attention sera partagée. Deux cas peuvent se présenter : ou bien, et c’est le cas normal, l’esprit ira sans cesse de l’une de ces idées à l’autre sans pouvoir se fixer un instant, ou bien il se constituera deux ou plusieurs systèmes de représentations, relativement indépendants les uns des autres, entre lesquels l’esprit se divisera. Il nous arrive fréquemment à tous, lorsque nous sommes occupés à quelque travail, de songer à ce que nous avons fait la veille ; un air que nous avons entendu nous revient aux oreilles, un paysage familier passe devant nos yeux, ou bien c’est quelque sottise, un fait divers ou un mot de journaliste, qui est entré dans notre mémoire et que nous n’en pouvons plus faire sortir ; en dépit de nous-même, il nous faut penser à cette phrase banale qui nous importe fort peu, et malgré notre désir d’être tout entier à la page que nous écrivons, nous ne pouvons lui donner qu’une partie de nous-même, notre esprit inquiet, troublé, tiraillé de-ci et de-là, ne réussit pas à s’appliquer sérieusement à ce qu’il fait. Mais il arrive aussi que les deux groupes de représentations agissent d’une façon si indépendante que, pour quelque temps, nous avons pour ainsi dire deux moi, deux moi fermés l’un à l’autre et qui se connaissent à peine ; la dissociation est fréquente entre le moi représentatif et le moi moteur, mais parfois aussi elle existe entre deux parties du moi représentatif. On suit machinalement une conversation, on répond comme il convient et cependant on sait à peine ce que l’on a répondu, notre esprit est bien loin de là qui rêve à sa guise. Que de fois il m’est arrivé en lisant à haute voix de me raconter à moi-même une histoire qu’un mot que j’avais vu avait éveillée dans ma mémoire, et qui ne ressemblait guère au récit que j’avais sous les yeux ! Les deux moi imaginaient et pensaient chacun