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MARILLIER.sur le mécanisme de l’attention

sentations. Il ne s’agit bien entendu que de l’intensité relative des états de conscience, de leur intensité par rapport les uns aux autres : il ne saurait être question d’intensité absolue ; nous n’avons pas en matière psychologique d’unité de mesure ; la considération de l’intensité absolue n’aurait pas au reste d’intérêt pour le sujet qui nous occupe.

M. Taine a très exactement analysé le mécanisme par lequel l’image qui tend sans cesse à s’objectiver, à se transformer en hallucination, est perpétuellement réduite. Si l’image reste une image, si elle ne redevient pas à tout instant la sensation qu’elle a été, c’est qu’elle est en perpétuel conflit avec d’autres sensations du même ordre qu’elle et plus intenses. L’image est-elle plus intense que les sensations antagoniques, c’est elle qui est objectivée, qui devient à vrai dire la sensation : les sensations disparaissent ou bien elles sont subordonnées à l’image hallucinatoire, elles se fondent avec elle ou se transforment en images internes. C’est cette loi qu’il convient de généraliser : lorsque deux représentations coexistent dans la conscience, normalement elles agissent l’une sur l’autre ; elles ne peuvent en raison des connexions anatomiques qui existent entre les centres corticaux, rester indépendantes l’une de l’autre. Nous n’avons pas conscience de chacune d’elles, telles qu’elles existent en elles-mêmes, mais telles qu’elles sont en fait, c’est-à-dire modifiées réciproquement par leur liaison. Si la différence d’intensité entre deux représentations est faible, elles restent toutes deux clairement conscientes, mais si, dans un groupe de représentations, l’une d’entre elles est beaucoup plus intense que toutes les autres, c’est elle seule ou presque seule qui est distinctement connue. Il peut fort bien arriver que cette représentation dominante soit en elle-même d’une très médiocre intensité : ce qui importe, c’est que les représentations auxquelles elle est unie soient beaucoup moins fortes qu’elle ne l’est elle-même. La résultante de deux forces d’intensité inégale sera toujours dans le sens de la plus grande, quelle que soit du reste la grandeur absolue de ces deux forces.

Ce sont ces lois générales qu’il faut appliquer au problème de l’attention. Pour qu’il y ait attention, il faut qu’à un instant donné l’une de nos représentations ait une intensité plus grande que toutes les autres : elle seule, alors, elle apparaîtra en pleine lumière. Plus cette représentation sera simple, plus grande pourra être sa différence d’intensité avec les autres images et les autres idées, plus entière l’attention par conséquent. Si au contraire la représentation dominante est une idée abstraite complexe, il est presque impossible que tous les éléments qui la constituent aient à un instant donné