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pense à un paysage, il peut me paraître, si je n’y porte pas une grande attention, que je me le représente visuellement tel qu’il est en réalité, tel que la perception me le montre alors que mes images visuelles sont presque toujours assez vagues et incomplètes. Cette illusion naît probablement de ce que, en même temps que ces formes visuelles, il se produit en moi un état mental très net composé de signes, de sentiments, d’idées, associé à la vue ou à la représentation du paysage. Se représenter une chose c’est éveiller en soi tout un système de tendances correspondant à cette chose. Si ce réveil de tendances s’accompagne d’un réveil faible de certaines images visuelles, nous serons, par un raisonnement inconscient, porté à croire ce réveil d’images plus complet qu’il ne l’est à cause du lien établi par l’esprit entre les sensations correspondant à ces images et les tendances éveillées. Les tendances éveillées nous paraissent un effet des sensations ou de leur réapparition sous forme d’images et, constatant le réveil des tendances, nous passons sans nous en rendre compte de l’effet à la cause et nous concluons de ce réveil au réveil des sensations. Les images doivent paraître naturellement plus vives, plus nettes qu’elles ne le sont en réalité. Nous avons d’autres occasions de nous en apercevoir. Il est bien entendu que je parle seulement ici des cas où, comme cela arrive souvent pour moi, l’image est réellement faible et vague. Une personne avec qui je causais me dit qu’elle se représentait très bien, qu’elle voyait par la pensée une figure de connaissance. Pour éclaircir un doute qui m’était venu, je lui demandai si elle voyait clairement si cette figure avait une barbe, et la réponse fut que cela n’était pas vu clairement. J’en conclus que la visualisation n’était ni aussi nette ni aussi forte qu’il le semblait et qu’il y avait dans la conception autre chose que des images visuelles et probablement cette impression particulière, mêlée de sentiments et de représentations, qui, comme nous le verrons, paraît être le côté psychique de nos concepts.

Si l’image visuelle ne peut se confondre avec l’idée, si l’idée peut exister sans image visuelle, comme nous venons de le voir, à plus forte raison pourra-t-elle exister sans image auditive et sans image olfactive ou gustative ; ces images sont relativement plus rares à ce qu’il semble que l’image visuelle ; d’ailleurs l’examen direct nous montre qu’il en est réellement ainsi et nous montre aussi l’existence de véritables images abstraites, et d’une série d’intermédiaires entre la représentation concrète et l’idée. Comme l’existence de ces images parait être mise en doute[1] et que d’ailleurs leur examen est indis-

  1. Voir la lettre de M. Jorisenne, Revue philosophique, 1886.