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qui mettent en lumière de nombreuses contradictions logiques et dont nous retrouvons encore de nos jours des traces profondes.

L’homme a vu dans ses rêves ses compagnons morts lui parler et agir devant lui comme de leur vivant, il s’est vu lui-même marcher, courir, chasser, pendant que près de lui d’autres hommes pouvaient le voir dormir immobile[1]. Que, à la suite de ces faits et d’autres analogues, visions, syncopes, maladies mentales et nerveuses diverses, il se soit formé dans l’homme deux systèmes séparés d’images, d’idées, de sensations, qu’il ait admis l’indépendance réelle des objets représentés en lui par ces complexus psychiques, qu’il ait considéré l’un comme donnant à l’autre le mouvement et la vie, comme pouvant l’abandonner et revenir en lui, comme pouvant lui servir après la mort, il n’y a rien là d’étonnant. S’il avait formulé ces opinions, l’homme n’aurait fait que constater à sa manière, et aussi bien qu’il le pouvait, les données de son expérience. Il y avait là une abstraction, une distinction que l’expérience imposait. L’homme conçu comme un tout, ou plutôt l’idée vague qui correspondait chez l’homme primitif à ce que nous appellerions ainsi aujourd’hui, devait forcément se scinder : une partie devait s’abstraire de l’agglomération totale, se constituer à part et par suite pouvoir se réunir à d’autres systèmes qu’à ceux auxquels elle était jointe, et c’est ce qui est arrivé quand on l’appliqua aux objets inanimés. Si les faits se sont passés autrement, cela revient au même au point de vue de notre sujet actuel, sauf que la généralisation a précédé peut-être l’abstraction formelle, en ce sens que la qualité d’être animé, et toutes les qualités psychiques que l’homme pouvait connaître, furent étendues aux objets inanimés avant d’avoir été considérées comme pouvant exister sans être unies au corps. Quoi qu’il en soit, nous aurons toujours des exemples de ces généralisations, de ces abstractions rudimentaires où des paquets de qualités sont transportés idéalement d’un objet à l’autre, sans que leurs éléments se désagrègent suffisamment pour que l’opération s’effectue avec quelque précision. Nous retrouvons toujours ici notre noyau de phénomènes psychiques qui se sépare d’un système pour se joindre à un autre, cet élément commun de diverses synthèses, comme dans la métaphore ou les illusions de l’aliéné.

Mais comment l’âme pourrait-elle être conçue ? L’homme qui dans ses rêves se trouvait transporté en d’autres lieux s’y trouvait transporté avec son corps ; la vie du rêve n’était, à bien des égards, qu’une reproduction de la vie réelle ; de même s’il retrouvait en songe

  1. Voyez Spencer, Principes de sociologie, t. I.