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Nous venons de voir des images colorées sans forme précise, voici maintenant des images de forme sans couleur : une personne qui a le type visuel en ce qui concerne la parole intérieure, me dit qu’elle se représente bien les gens qu’elle connaît, je lui demande si elle se représente bien la couleur des yeux, par exemple, de la personne à qui elle pense, elle me répond que non, que généralement elle voit les formes, non les couleurs, bien qu’elle se représente aussi les couleurs en certains cas. Dans les hallucinations, on retrouve ces images abstraites ; voici à cet égard un fait cité par Griesinger : « J’ai vu, dit-il, un fait intéressant de transformation de cette espèce de demi-hallucination interne, obscure et pâle des sens, qui accompagne la pensée à l’état ordinaire, en hallucinations véritables avec vision objective distincte : c’était un malade qui avait des visions extraordinairement nombreuses, dans lesquelles il se complaisait beaucoup ; il en parlait souvent, disant que tantôt il voyait simplement des contours sans couleur, tantôt c’étaient des ombres foncées, tantôt enfin des images vives, colorées, ayant tout à fait l’aspect d’objets extérieurs réels[1]. »

On peut tirer de ces faits deux conclusions : la première, c’est que la représentation visuelle ne constitue pas essentiellement l’idée, plusieurs des correspondants de M. Galton distinguent soigneusement les deux choses, — nous verrons qu’il en est de même pour les autres représentations sensibles.

La seconde conclusion, c’est que ces faits font tomber la principale objection élevée contre l’existence des idées abstraites. Berkeley qui, comme l’a fait remarquer M. Ribot, parait se représenter l’idée générale sous la forme d’une image visuelle et qui doit avoir été doué d’un remarquable pouvoir de visualisation, à moins que ses arguments ne soient des considérations purement logiques, dit qu’une représentation ne peut être que particulière. « Je ne sais, dit Berkeley, si d’autres personnes ont cette admirable faculté d’abstraire leurs idées : pour moi, je trouve que j’ai la faculté d’imaginer ou de me représenter les idées des choses particulières que j’ai perçues, de les combiner et de les séparer de diverses manières. Je peux imaginer un homme à deux têtes, et la partie supérieure de son corps jointe au corps d’un cheval. Je peux considérer la main, l’œil, le nez, l’un après l’autre abstraits ou séparés du reste du corps. Mais quelle que soit la main ou quel que soit l’œil que j’imagine, il faut qu’ils aient une forme, une couleur particulière. De même, mon idée d’homme doit être l’idée d’un homme blanc, ou noir, ou basané,

  1. Griesinger, Traité des maladies mentales. p. 105.