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prends une boîte en bois clair, en forme de parallélépipède, portant écrit sur le couvercle la mention Timbres-Poste, je la mets devant moi, je la regarde un moment et j’essaye ensuite de me la représenter. L’image reste très vague, les mots écrits, en particulier, ne m’apparaissent pas, à peine en concentrant mon attention puis-je faire naître l’image visuelle d’une lettre, mais alors le reste disparait. Cependant je me rappelle très bien les mots qui sont sur la boîte, je sais qu’ils y sont, mais cette représentation n’est pas visuelle, j’ajoute que dans certains cas elle ne me paraît être ni motrice, ni auditive, je tâcherai plus tard de mieux préciser sa nature. De même, je puis penser à tel ou tel salon où je me suis trouvé, mais ma représentation visuelle est vague, confuse, je saisis un détail et je sens vaguement le reste[1]. Nous reviendrons plus lard sur cette impression d’un ordre particulier qui est, je crois, une idée, mais nous devons nous occuper pour le moment des images visuelles.

De nombreux faits prouvent au reste que les images visuelles n’ont pas toujours une grande précision. M. Francis Galton[2] cite des extraits de cent réponses à lui adressées par cent personnes, « dont la moitié au moins sont distinguées dans la science ou dans un autre champ du travail intellectuel ». Je cite ici quelques-unes de celles où l’on trouve la preuve que les images visuelles peuvent atteindre un remarquable degré de vague ; il ne serait peut-être pas besoin d’insister beaucoup sur ce point s’il ne devait servir à montrer que les partisans de la non-existence des idées abstraites ont fait fausse route.

« 90. — Ternes, non comparables en éclat à la réalité…, très incomplètes.

« 91. — Ternes, pauvrement définies ; les dessiner serait impossible ; j’éprouve de la difficulté à voir deux images à la fois.

« 92. — En général très faibles. Je ne puis parler de leur éclat, mais seulement de leur faiblesse. Mal définies et très incomplètes.

« 93. — Faibles, imparfaites.

« 94. — Je suis très rarement capable de me rappeler un objet quelconque d’une manière quelque peu distincte. Par occasion (very occasionally) un objet ou une image reviendra de lui-même (will recall itself), mais, même alors, c’est plutôt une sorte d’image généra-

  1. La faculté de visualisation varie, au reste, beaucoup chez moi selon les époques, selon mes occupations, selon l’état de l’organisme, selon que je suis à la campagne ou à la ville ; elle a varié aussi avec l’âge autant que je puis me rappeler mes souvenirs d’enfance. Il me reste des premières années de ma vie quelques images visuelles plus vives que celles que je forme d’ordinaire à présent. Je n’insiste pas ici sur ce sujet, qui demanderait à être traité à part.
  2. Galton, Inquiry on human faculty. Mental imagery, p. 91-92.