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la queue d’un cochon (DEB)[1]. » Du rébus on passa, par une nouvelle abstraction, au syllabisme. Par la méthode analytique on fit « d’un signe hiéroglyphique d’idée un signe de son, en lui faisant représenter la première syllabe ou la première lettre du mot qui constituait sa prononciation la plus habituelle comme idéogramme[2] ». Une nouvelle abstraction fait enfin séparer la consonne de la voyelle et donne un « signe spécial à l’expression, indépendante de toute voyelle, de l’articulation en consonne qui demeure muette tant qu’un son vocal ne vient pas y servir de motion[3] », Un seul système d’écriture idéographique, celui des hiéroglyphes égyptiens, parvient à ce degré d’abstraction, et ce progrès fut dû sans doute au caractère vague des voyelles de la langue égyptienne. Les Phéniciens enfin achevèrent de régulariser l’abstraction par l’alphabet proprement dit[4]. L’écriture a répudié peu à peu toute espèce de représentation figurée, elle s’est progressivement abstraite, chacune de nos lettres est le résultat d’une abstraction longtemps imparfaite et qui est arrivée enfin à un degré élevé. Sur le langage, sur la numération, on pourrait faire des remarques analogues, mais le langage est encore dans un état relativement imparfait, la signification des mots est insuffisamment abstraite, les confusions sont fréquentes, malgré les immenses progrès accomplis par les générations qui nous ont précédés.

Si je ne me trompe, nous avons déjà commencé à aborder le problème des idées abstraites et générales. Les lettres sont des éléments abstraits, comme nous venons de le voir, et ce ne sont certes pas des éléments primitifs, elles sont générales en ce qu’elles peuvent faire partie de plusieurs mots différents, elles sont des éléments abstraits, généraux, analytiques, — comme les couleurs, — si l’on admet que les progrès de l’écriture représentent les progrès de l’esprit humain, ce que l’on paraît pouvoir admettre sans hardiesse pour ce qui nous occupe et ce qui ne serait d’ailleurs nié que par des psychologues qui admettraient l’existence, indépendamment du langage, de représentations abstraites. On est donc autorisé, je crois, à dire, que, quand nous nous représentons un a, ou un t, nous avons une représentation abstraite. En effet, à examiner ce fait de près, on voit que quand on se représente un a ou un t on met faiblement en

  1. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient, p. 571-572.
  2. Lenormant, ouv. cité, I, 431.
  3. Même ouvrage.
  4. Voir pour l’histoire de l’alphabet : Lenormant, ouv. cité, t. I, p. 396-450 ; — Maspero, ouv. cité, 570-608 ; — Maury, Revue des Deux Mondes, 1er sept. 1875 ; — Lenormant, art. Alphabetum, Dictionnaire des antiquités romaines et grecques de Daremberg et Saglio.