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intellectuelles assez bornées, trouver des expédients particuliers que ne trouverait pas, sans la pratique, un homme d’une intelligence générale bien supérieure. Il arrive aussi, évidemment, que la pratique et l’habitude rendent les idées plus raides et moins modifiables, — il est sûr que les philosophes de profession ont des préjugés philosophiques que le vulgaire n’a pas, parce qu’il n’a pas d’idées arrêtées sur la question, — mais c’est en partie parce qu’il s’agit alors des matières où l’intervention constante de l’expérience pour désagréger la conception primitive et nécessiter de nouvelles adaptations ne peut pas se produire et, en tout cas, cette vérité n’infirme certainement pas la vérité précédente.

Nous n’avons pas à énumérer ici les tendances abstraites et générales que l’homme peut acquérir et manifester, il n’y a d’ailleurs qu’à considérer l’évolution d’une science ou d’une industrie quelconque pour voir les abstractions et les généralisations successives qui ont été rendues nécessaires. À vrai dire, quelques-unes de ces abstractions semblent nécessitées par l’organisation générale de l’homme, par la constitution essentielle du système nerveux. Les organes de l’intelligence sont forcément des complexus d’habitudes abstraites, de même que les organes du mouvement. On sait combien l’enfant est maladroit lorsqu’il s’agit d’exécuter des mouvements très restreints, d’un seul doigt, par exemple ; on sait combien l’homme est maladroit quand il commence pour la première fois une opération nouvelle. Non seulement les synthèses de mouvements ne peuvent s’effectuer, mais encore chaque mouvement en entraîne plusieurs autres qu’il ne devrait pas entraîner. Ce n’est que peu à peu que les éléments se dégagent de leurs associations naturelles pour pouvoir exister à part et entrer dans de nouvelles combinaisons. Il en est de même certainement pour les sens : nous apprenons à isoler les plus petites sensations, à les considérer en elles-mêmes, à en prendre conscience et ce travail d’analyse nécessaire pour l’établissement des synthèses suffisamment systématiques est en somme un travail d’abstraction, chaque élément étant ou pouvant être abstrait des autres. Ainsi, en tant qu’ils sont en train de se perfectionner et de s’adapter à des conditions plus complexes, nos organes des sens, nos organes intellectuels, nos organes moteurs sont des appareils d’abstraction, sans cesse agissant, et des groupes de systèmes d’habitudes abstraites.

Un exemple nous montrera comment ce processus d’abstraction arrive à un état de perfection presque complet. Nous avons maintenant un système de lettres qui nous permet de figurer assez aisément tous les mots et il nous semble bien naturel de considérer h