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dessous de la ligne de tir. Le Dr John Ray ajoute qu’il a connu plusieurs cas où, dans des conditions semblables, au lieu de creuser une tranchée dans la neige pour éviter le coup de feu, « un renard arctique avait coupé la ficelle allant à la batterie d’un fusil avant de prendre l’appât[1] ». Il y a là des combinaisons mentales dont la formation exige évidemment la séparation de plusieurs éléments psychiques de groupes auxquels ils appartenaient et leur réunion en un système nouveau. M. Romanes raconte un fait très curieux qui montre bien ce phénomène : « Il y a trois ans, dit-il, je confiai à une poule de brahma un œuf de paon pour le couver. La poule était vieille et avait élevé de nombreuses couvées de poussins avec un succès extraordinaire, même eu égard à sa race. Pour faire éclore le petit paon, elle dut couver l’œuf pendant une semaine de plus que cela n’est nécessaire pour les poussins de poule, mais il n’y a rien là de bien anormal, car, comme le fait remarquer M. Spalding, il en est de même toutes les fois qu’une poule élève une couvée de canetons. Mon but, en faisant cette expérience, était de m’assurer si la période des attentions maternelles qui suit l’incubation, peut, dans des conditions particulières, se prolonger au delà du délai habituel, car le petit du paon a besoin de ces soins pendant un temps beaucoup plus long que n’en a besoin le poussin de la poule. Comme la séparation entre la poule et le poussin semble toujours venir de ce que la mère les chasse dès qu’ils sont en état de pourvoir à leurs besoins eux-mêmes, je m’attendais à peine à ce que la poule prolongeât dans ce cas la durée de la période normale des soins maternels, et je ne tentai l’expérience que parce que je croyais que, si elle le faisait, le fait serait un des meilleurs qu’on pût imager pour montrer à quel degré l’instinct héréditaire peut être modifié par des expériences individuelles particulières. Le résultat fut très surprenant. Pendant la longue période de dix-huit mois, cette vieille poule brahma demeura avec son poussin toujours grandissant, et durant tout ce temps elle veilla sur lui avec une attention incessante. Elle ne pondit aucun œuf durant cette période prolongée de soins maternels, et, si elle était un instant séparée de son poussin, mère et enfant en étaient très alarmés. La séparation finit cependant par s’effectuer, en apparence du moins, elle sembla venir du paon ; mais il faut remarquer que, malgré cette séparation, ils ne s’oublièrent jamais, comme semblent le faire poule et poussins. Tant qu’ils restèrent ensemble, la vanité anormale manifestée par la poule au sujet de son merveilleux poussin était extrêmement

  1. Charlton Bastian, Le cerveau organe de la pensée, t. I, p. 246.