Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/528

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
518
revue philosophique

souvent il les évite, et, quand elles s’imposent, il subordonne, la plupart du temps, la force et la profondeur de la pensée à la clarté. Cependant, et c’est Kant qui l’a dit, bien des livres auraient été beaucoup plus clairs s’ils n’avaient pas voulu être si clairs. À la fin d’un article sur le célèbre Rapport de M. Ravaisson, l’auteur avoue que « ces explications si hautes, si subtiles, si étranges confondent sa pensée ». Ce n’était pas une raison pour ne pas les discuter et pour opposer cette fin de non-recevoir à une des formes les plus profondes de l’idéalisme.

Il faut bien pourtant que M. Caro, spiritualiste convaincu, défende la métaphysique spiritualiste. Aussi le fait-il, mais peut-être un peu superficiellement ; on pourrait trouver qu’il abuse des vérités intuitives auxquelles l’esprit s’élève d’un mouvement irrésistible. Le spiritualisme est fortement attaqué de nos jours, ses adversaires ne se tiennent pas pour battus quand on leur oppose des élans du cœur ou des aspirations de l’intelligence ; il faut des arguments plus solides.

Mais ne demandons pas à l’auteur autre chose que ce qu’il a voulu faire. De pareils ouvrages sont éminemment propres à répandre le goût des études philosophiques, ils mettent à la portée de beaucoup d’esprits des doctrines qu’une exposition plus abstraite ou moins attrayante aurait rebutés. Sans eux, la philosophie resterait la propriété exclusive d’un petit nombre d’initiés, égoïstes contemplateurs de leur pensée. Elle ne peut exercer une influence utile sur la conduite de l’individu et de la société qu’en se mettant à la portée du public. À ce titre, comme nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer[1], les livres de M. Caro ont une incontestable valeur.

Celui qui nous occupe offre, d’ailleurs, un intérêt tout particulier : ces différents articles ont été écrits il y a déjà longtemps, au moment où les ouvrages auxquels ils sont consacrés venaient d’être publiés. De là une certaine vivacité de ton, une certaine fraîcheur d’impression et de critique qui feraient nécessairement défaut à des études écrites aujourd’hui sur des livres parus il y a plus de trente ans. On aime à retrouver, dans les examens critiques des œuvres de M. J. Simon, d’Emile Saisset, du P. Gratry, la trace des polémiques que leurs idées ont engendrées, l’inquiétude de l’écrivain soucieux des questions politiques ou religieuses qui se posaient alors.

C’est là, pour ne pas parler de la parfaite limpidité du style, ce qui fait qu’on lit ces pages avec un véritable plaisir. Nous souhaitons qu’elles ne soient pas les dernières et que cette publication posthume nous réserve encore d’autres surprises.

Georges Rodier.
  1. Voy. le nº d’août de la Revue.