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elles-mêmes, aussi bien que Dieu, apparemment, car il ne peut guère y avoir de degrés dans l’intention de l’absolu, d’où il suit que nous connaissons Dieu aussi bien qu’il se connaît lui-même, — ces idées, où les avons-nous prises ? M. Cellarier ne veut pas entendre parler d’innéité, et ce n’est certes pas nous qui lui en ferons un reproche. La solution qu’il propose est alors celle-ci : « Par un acte primitif et fondamental de notre intelligence, acte qui, sans une conscience claire et distincte de notre part, se produit dès que cette faculté entre en service, nous concevons et affirmons l’être absolu. Dans cette affirmation se trouvent virtuellement contenus tous les attributs de cet être : unité, identité, immortalité, éternité, immensité, etc. Ces attributs sont d’abord conçus par nous d’une manière confuse et enveloppée, mais qui nous permet cependant de former dans notre esprit certaines catégories applicables à tous les objets tombant sous notre connaissance, et qui, par la réflexion et l’analyse, atteignent peu à peu le dernier degré de netteté et de distinction. Mais ces idées, quoique confuses et mal démêlées, n’en sont pas moins le fondement et la règle de tous les jugements des hommes et de tous les actes de leur intelligence, même lorsqu’elle est la plus inculte et la moins développée. Peut-être même est-ce là qu’il faut chercher l’explication de l’instinct chez les animaux, merveille inconcevable, etc. » Ainsi nous avons une intuition rationnelle de l’être absolu, et c’est à cet être et à ses attributs que nous rapportons toutes les choses de l’ordre sensible pour les mesurer en quelque sorte, et même pour les comprendre. Il y aurait bien à dire là-dessus. En deux mots, nous demanderons seulement à M. Cellarier comment il entend cette intuition ou cette conception de l’absolu dont il nous parle. L’absolu nous y est-il donné à titre d’objet ? Mais alors nos facultés de connaître entrent nécessairement en jeu dans l’idée que nous nous en faisons, et par conséquent cette idée est ce que sont toutes les autres idées de notre intelligence humaine, c’est-à-dire subjective et relative. Puis comment admettre que cette lumière de l’absolu soit l’objet que contemplent, même confusément, l’intelligence de l’enfant au berceau, et surtout celle de l’abeille construisant ses alvéoles ? Pour donner un sens véritablement philosophique à cette proposition que nous avons l’intuition de l’absolu, il faudrait admettre que l’absolu est nous-mêmes, ou que nous lui sommes unis si intimement qu’en prenant conscience de nous-mêmes, nous prenons en même temps conscience de lui. À l’entendre ainsi, on aurait une thèse ayant une certaine valeur philosophique, parce que la conscience seule peut nous donner cette intuition adéquate à son objet que M. Cellarier suppose. Mais alors on tombe dans le panthéisme de Plotin, de Schelling, de Hartmann, ou plutôt dans le panthéisme en général, car le fond de tout panthéisme, c’est précisément cela. Il ne paraît pas que ce soit là du tout la pensée de notre auteur. Du reste, il est juste d’ajouter qu’il s’excuse dans une note de ne s’être expliqué nulle part sur ce sujet de l’intuition de l’absolu. Mais comme c’est la pierre angulaire de tout son édifice, il