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éclaireurs du juge criminel. Depuis que ces deux sources d’informations ont conflué, il est intéressant de relire certaines affaires déplorables, telles que l’affaire La Roncière (1835) où, sur le témoignage d’une hystérique, évidemment abusée par une hallucination de tous ses sens, — cela est clair aujourd’hui, — un brave officier français a été condamné à dix années de réclusion. Ce n’est pas la seule erreur judiciaire où l’ignorance de faits maintenant connus de nous, a fait tomber nos juges et nos jurés de la meilleure foi du monde. La science n’eût-elle servi qu’à nous préserver dorénavant de pareils arrêts, une grande reconnaissance lui serait due. En 1881 (p. 572), le tribunal correctionnel de la Seine ayant condamné D. à trois mois de prison pour outrage public à la pudeur, et le condamné ayant fait appel, la Cour de Paris, sur le rapport du Dr Motet, et à la suite d’expérience faites dans la chambre du conseil, a rendu un arrêt d’acquittement motivé sur l’état de somnambulisme naturel où D. s’était trouvé en accomplissant les actes incriminés. — L’étude de la suggestion hypnotique a rendu un plus grand service encore peut-être à la justice criminelle en lui apprenant avec quelle méfiance il convient de recevoir les témoignages des enfants, si aisément suggestibles par leurs maîtres, leurs parents et surtout leurs camarades, et aussi les témoignages, même les plus sincères, des sectaires et des personnes passionnées, si souvent trompées par une sorte d’auto-suggestion. Enfin, en lisant l’affaire Benoit (p. 520 et suiv.) les juges d’instruction apprendront à se méfier d’eux-mêmes, de leurs partis pris aveuglants, de leurs auto-suggestions inconscientes et beaucoup plus fréquentes qu’on n’aimerait à le penser. Ce n’est pas seulement la volonté, en effet, c’est la conviction qui est un ressort intérieur dont le bouton peut être pressé à notre insu.

Il est donc bien certain qu’on s’est trop hâté, dans la presse et dans le public, de jeter le cri d’alarme au sujet des dangers que présente l’hypnotisme. Ajoutons que, malgré ce qui vient d’être dit, l’emploi des procédés hypnotiques entre les mains des criminels ne deviendra certainement pas plus fréquent, ou plutôt moins rare, dans l’avenir que dans le passé. Les vieux procédés usuels du crime resteront toujours les meilleurs. Sur ce point il est bon de lire M. Delbœuf, qui se trouve en dissentiment partiel avec M. Liégeois[1]. Le savant professeur de Liège, on le sait, est un anti-déterministe déterminé, et nos lecteurs n’ont pu oublier sa polémique avec M. Fouillée sur le libre arbitre. À l’en croire, loin d’être un argument opposable à la liberté humaine, l’hypnotisme en est une preuve de plus. « L’hypnotisme n’annihile pas, i exalte la volonté. » On ne fait exécuter à l’hypnotisé que ce qui lui plaît ; seulement sa complaisance envers son hypnotiseur est si grande

  1. Voir sa brochure, qui va paraître incessamment, Le magnétisme animal. L’auteur a bien voulu nous en adresser les épreuves corrigées. Il est inutile de signaler l’intérêt de cette publication, riche d’expériences ingénieuses et d’aperçus pénétrants comme tous les écrits de la même plume.