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ANALYSES.j. liégeois. Suggestion et somnambulisme.

idée singulière que de vouloir punir le somnambule quand on reconnaît que l’aliéné est irresponsable. » Je ne vois pas bien comment en partant du principe ou plutôt du préjugé souligné, notre auteur parvient à résoudre les graves difficultés soulevées par son sujet, et à défendre un coin quelconque du champ de la responsabilité humaine contre le déluge des arguments déterministes que chaque page de son livre vient grossir. Si l’hypnotisé est irresponsable uniquement parce que le bouton de sa volonté a été pressé et n’a pas pu, une fois pressé, ne pas faire détendre son ressort, qu’importe que cette pression ait été exercée par une main humaine, ce qui est le cas de l’hypnotisme, ou par une cause ou un ensemble de causes physiques, ce qui est le cas du somnambulisme naturel, ou même, ce qui est le cas de la vie dite normale, par un concours de causes très complexes, physiques et psychologiques, extérieures et intérieures ? Dès lors il ne restera plus qu’à innocenter tous les crimes. Félida, dit-on, est irresponsable dans sa condition seconde, — qui est devenue pourtant sa vie ordinaire et habituelle, — parce que, dans cet état, elle n’est pas libre ; mais, s’il vous plaît, dans son état dit normal, devenu tout à fait exceptionnel, l’est-elle davantage ? Il m’est impossible, en lisant la description de ces deux états dans M. Azam, de voir entre ces deux modes d’existence de sa cliente, à cet égard, une différence appréciable ; et, à vrai dire, je tiens Félida dans sa condition seconde, c’est-à-dire lorsqu’elle est d’humeur vive et gaie, sensible et imaginative, ayant gardé du reste l’intégrité de « ses facultés intellectuelles et morales » (p. 359), pour aussi responsable que dans sa vie normale, c’est-à-dire quand elle redevient triste et inerte. Entendons-nous : aussi longtemps que dure l’une de ces deux vies, je la juge responsable des actes accomplis par elle dans cette même vie, mais ce serait une énormité à mes yeux de la faire condamner, quand elle est dans son état normal, pour des fautes commises dans sa condition seconde ou vice versa. Responsabilité, en effet, implique identité et conscience de cette identité, non liberté ni conscience plus ou moins illusoire de cette liberté. Or, à ce point de vue, tout s’éclaire dans notre obscur sujet.

Ce qu’on appelle liberté, qu’est-ce ? Tout simplement l’auto-suggestion, mais une auto-suggestion qui va jusqu’à supprimer au regard de la conscience toute différence entre le suggérant et le suggéré. Pour faire comprendre ma pensée, je vais supposer un cas qui n’a rien d’inimaginable. Voici un somnambule naturel qui, ayant résolu, pendant la veille, de tuer un de ses voisins et de le voler, s’endort sur cette préoccupation, y rêve et accomplit pendant son sommeil l’objet de sa résolution. Fodéré dirait certainement ici que la responsabilité morale du somnambule, après son réveil, serait engagée. D’après cet auteur, « un homme qui aurait fait une mauvaise action pendant son sommeil ne serait pas tout à fait excusable, puisque, d’après le plus grand nombre des observations, il n’aurait fait qu’exécuter les projets dont il se serait occupé durant la veille ». Assurément, M. Liégeois a