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médecine légale. Même bornée de la sorte, notre tâche, on le voit, resterait encore bien considérable, si nous n’avions hâte d’ajouter que notre seul dessein est de jeter un rapide coup d’œil sur les difficiles sujets qui viennent d’être énumérés.

Après avoir causé à la conscience morale une surprise et une alarme exagérées, les phénomènes hypnotiques, depuis quelque temps, commencent à passer pour ce qu’il y a de plus naturel au monde, de plus aisé à concilier avec la responsabilité des actes humains et les exigences de la justice criminelle, M. Delbœuf vous dira même avec le libre arbitre. On a bien raison de dire que l’habitude émousse les sensations, agréables ou pénibles ; et Fechner se réjouirait sans doute de voir ici une application de la loi logarithmique. À mesure, en effet, que grandit de plus en plus prodigieusement l’étrangeté des révélations récentes, dues à nos néo-sorciers contemporains, l’étonnement qu’elles produisent s’accroît de moins en moins, ou, pour mieux dire, diminue. À une excitation telle que la démonstration de la suggestion à distance, voire même, paraît-il, de la double vue, correspond une sensation, dans le public, très inférieure à celle qu’a suscitée il y a quelques années la moindre séance d’hypnotisme banal. Après tout, rien là d’étonnant ; l’humanité ne s’est-elle pas habituée de même à regarder comme une chose toute simple cette anomalie de toutes les nuits, le rêve, qui, au fond, ne diffère pas essentiellement de l’hypnose ? Il en diffère en degré pourtant, l’hypnose étant un rêve en action et à volonté, souvent un rêve les yeux ouverts, ce qui complique singulièrement la merveille ordinaire. Pour nous en faire l’idée, supposons que nos premiers ancêtres, au lieu de connaître seulement les songes, aient connu les états hypnotiques. Les songes déjà ont frappé leur imagination à ce point que la foi au double du corps, avec son cortège mythologique, leur est, nous dit-on, venue de là. Quelle ampleur ou quelle vigueur incomparables leurs conceptions religieuses n’eussent-elles donc pas acquises, si elles avaient pu s’appuyer sur cette base expérimentale tout autrement forte, l’expérience de la suggestion ! N’est-il pas à présumer, dans cette hypothèse, que la foi à l’indépendance de l’âme incorporelle, à la réalité des pouvoirs surnaturels, conçus sur le modèle du médium, aux métempsycoses, si faciles à prouver par la suggestion de personnalités multiples, eût dépassé immensément en intensité et en durée les proportions atteintes par elle en Égypte, dans l’Inde et ailleurs ? Mais, qui sait ? Peut-être, au contraire, la possibilité d’expérimenter et de multiplier à son gré ces états merveilleux en eût fait évanouir le prestige, eût rendu la superstition impossible, et empêché de naître, non seulement la divination par les songes, phénomènes devenus bien secondaires, mais encore la divination par les augures, bien petits personnages à côté des Donato d’alors, et par les pythonisses, singulièrement pâles à côté des hypnotisées ? Décidément, il est regrettable que MM. Charcot, Bernheim, Beaunis, Delbœuf, Liégeois, ne soient pas venus au monde quelques milliers d’années plus tôt. Il est fort possible