Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/509

Cette page n’a pas encore été corrigée
499
ANALYSES.p. tannery. La science hellène.

nery, c’est l’idée qu’Anaximandre voit dans le mouvement diurne le fait primordial. Mais cette idée est insuffisamment justifiée par le texte du de Cælo. Car ce texte ne parle que de la cause prochaine de la génération du ciel, non de la cause première de toute génération ; et il se peut que la δίνη soit elle-même l’effet d’un mouvement non circulaire.

C’est ce que Tannery reconnaît lui-même (p. 147) ; mais, dit-il, pour que la limitation de la matière soit prouvée, il suffit qu’Aristote, dans ce passage, atteste la prépondérance attribuée par Anaximandre au mouvement diurne. En effet, ajoute-t-il, nous savons que la totalité de la matière est, selon Anaximandre, emportée par ce mouvement : car nulle part Anaximandre ne nous parle pas d’une matière existant en dehors de notre monde, et il est facile de se rendre compte que d’une telle matière il n’eût su que faire. Or nul homme n’a jamais pu se représenter la rotation d’un monde infini en grandeur. — Mais sur quoi s’appuie Tannery pour affirmer que, chez Anaximandre, les limites de notre monde sont celles de la matière même ? S’il est mal prouvé qu’Anaximandre ait admis l’existence simultanée d’une infinité de mondes, cette indication trop précise elle-même ne montre-t-elle pas qu’on se figurait la matière d’Anaximandre comme débordant le monde que nous habitons ? Pourquoi d’ailleurs exiger qu’Anaximandre se soit prononcé sur l’état et le rôle de cette matière demeurée chaotique ? Sans en nier l’existence, il a fort bien pu ne pas s’en occuper, parce que son attention se concentrait sur l’origine et la fin du monde dont nous faisons partie. Le principal argument de Tannery, c’est, en définitive, l’impossibilité de se représenter la rotation d’un infini. Ici il faut distinguer. Il n’y a rotation d’un infini que si toutes les parties de la matière sont actuellement solidaires les unes des autres quant au mouvement, et nul texte ne nous dit qu’Anaximandre ait admis cette solidarité. L’eût-il admise, d’où savons-nous qu’il se soit précisément proposé d’obtenir de l’univers une conception imaginable ? Pourquoi, en ce qui concerne les premiers principes des choses, ne se serait-il pas élevé jusqu’à des abstractions qui dépassent l’imagination ? Est-ce que l’absence de limites entre les formes au sein du mélange primordial, au sens où l’entend Tannery, n’est pas une de ces abstractions ? Enfin, si l’on veut que l’entendement, chez lui, ne se soit jamais séparé de l’imagination, est-il nécessaire d’admettre qu’il imagine précisément de la même manière que nous, qu’il veut se représenter les extrémités du monde d’une manière aussi distincte que ses parties centrales, et qu’il ne se contente pas, pour les choses éloignées, d’une représentation vague et indécise ?

Mais, dit-on, Xénophane, qui fait le monde infini, nie, par contre, la réalité du mouvement de révolution. La question est de savoir si réellement et scientifiquement Xénophane faisait le monde illimité. Le fragment 12, dans lequel nous lisons que la terre, au-dessous de nos pieds, s’étend à l’infini, n’est pas une preuve suffisante en présence des textes contradictoires. Et surtout il ne prouve pas que le problème