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Nul doute pourtant que le côté philosophique des doctrines des physiologues ne soit bien moins saillant chez Tannery que chez la plupart des historiens de la philosophie, chez Zeller, par exemple. Tannery atténue considérablement le sens métaphysique, la portée et le rôle de mainte opinion où les philosophes voient un concept philosophique en règle, le centre et le principe moteur de tout un système. A-t-il raison ? A-t-il tort ? Ce ne peut être là qu’une question de fait, question qui se pose à nouveau pour chacune des thèses que soutient Tannery. Nous nous bornerons à examiner une de ces thèses particulièrement grave et féconde en conséquences, celle qui est relative aux concepts généraux mis en avant par Anaximandre.

Selon Tannery, en dehors de l’hypothèse de la succession périodique des mondes, les travaux d’Anaximandre ne nous présentent guère que des opinions d’un caractère scientifique. Son concept de l’infini n’est ni tel qu’on le définit d’ordinaire, ni fondamental dans son œeuvre ainsi qu’on le suppose. Le fond de son système, c’est la croyance au mouvement rotatoire comme embrassant la totalité de la matière. De cette croyance dépend son opinion sur la substance, laquelle, en tant que soumise à un mouvement de rotation, ne peut être infinie en grandeur et ne comporte l’infinitude qu’au sens d’un mélange indistinct. Ainsi entendu, le système perd évidemment de sa portée philosophique : il ne consiste guère qu’à universaliser et éterniser le phénomène le plus saillant de la nature, celui de la révolution diurne.

Considérons spécialement la limitation en grandeur que Tannery attribue à l’infini d’Anaximandre. Pour établir cette thèse, Tannery invoque les arguments suivants :

1o Anaximandre considérait comme primordial le mouvement rotatoire du monde, ainsi qu’il résulte du texte d’Aristote, de Cælo, II, 13, 295 a, 10 sqq., suivant lequel tous ceux qui conçoivent le ciel comme engendré le font naître διὰ τὴν δίνησιν. Or, chez Anaximandre, l’imagination est toujours très précise ; et, s’il y a eu de tout temps une chose inimaginable, c’est un mouvement rotatoire s’étendant à l’infini. Xénophane, qui admettra l’infini, niera, en revanche, le mouvement rotatoire.

2o Anaximandre explique l’immobilité de la terre au centre du monde par son égale distance aux extrémités dans toutes les directions (Hippol., Ref., I, 6.)

Ces arguments sont-ils irréfutables ?

Dans le dernier, d’abord, Tannery donne au texte du doxographe une précision qu’il n’a pas. Nous lisons simplement : μένουσαν δὲ διὰ τὴν ὁμοίαν πάντων ἀπόστασιν. Le mot πάντων ne veut pas dire : des extrémités, mais peut s’entendre simplement de tous les corps définis qui peuvent s’offrir aux yeux. Il s’agit d’ailleurs ici de l’état actuel du monde. Or, rien dans le texte en question ne nous empêche d’admettre qu’Anaximandre a pu assigner une limite au κόσμος sans en assigner à la matière.

En ce qui concerne le premier argument, le point de départ de Tan-