Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/499

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
489
ANALYSES.p. tannery. La science hellène.

fections inévitables qui résultent de l’insuffisance et de l’incertitude des documents : elles ont, par rapport à l’objet que j’ai en vue, un défaut plus grave. Elles émanent, directement ou indirectement, de philosophes. Or les philosophes, en toute matière, cherchent d’abord l’idée métaphysique la plus importante. Au besoin ils la formulent, sans trop s’inquiéter s’ils s’en tiennent exactement à la pensée consciente de l’auteur lui-même. Puis ils groupent autour de ce qu’ils considèrent comme l’idée-mère le plus grand nombre possible des autres idées mentionnées par les textes, et ils négligent comme accessoires les thèses spéciales qui ne trouvent pas place dans leur système. Ces habitudes d’esprit, les philosophes ont dû les apporter dans l’interprétation des fragments épars, incertains et obscurs des anciens physiologues ; et, en effet, c’est en ce sens qu’ils ont exposé les théories antérieures à Socrate aussi bien que les systèmes d’un Platon ou d’un Aristote.

Nul doute, estime Tannery, que cette méthode ne soit la bonne, si l’on a en vue l’histoire de la philosophie. Cette méthode n’est rien moins que celle qui a été inaugurée par Aristote. Appliquée avec les précautions nécessaires, elle nous permet d’envisager le développement, conscient ou non, des idées métaphysiques suivant un ordre qui satisfait notre esprit : ce qui est proprement l’objet de l’histoire de la philosophie.

Mais s’il s’agit de l’histoire de la science, cette méthode est très défectueuse. Elle risque de dénaturer les opinions scientifiques en les rattachant artificiellement à des principes métaphysiques, elle conduit à négliger, comme indépendantes de l’idée centrale, des opinions qui peuvent avoir eu une grande importance aux yeux du savant. J’ai donc dû, conclut Tannery, suivre une méthode tout autre que la méthode habituelle, une méthode même directement opposée. Au lieu de chercher tout d’abord l’idée metaphysique, je considère les thèses scientifiques et je les étudie directement et pour elles-mêmes. Je détermine une à une les opinions que les physiologues ont professées sur les parties ou aspects de la nature qu’ils ont considérés, et je n’aborde leurs thèses philosophiques qu’après avoir épuisé leurs opinions relatives à la physique et à l’histoire naturelle. Peu m’importe d’ailleurs que les opinions que je fais ainsi passer au premier plan soient des erreurs parfois grossières, des hypothèses dénuées de fondement : l’erreur est l’intermédiaire entre l’ignorance et la connaissance, l’hypothèse est le premier pas vers l’explication scientifique. Il reste bien entendu que ma méthode n’a pas la prétention de se substituer à celle des philosophes, mais simplement de la compléter. Nul ne conteste que les documents relatifs aux anciens physiologues n’aient trait à la science en même temps qu’à la philosophie : la partie relative à la science sera mieux comprise et appréciée si elle est étudiée pour elle-même que si elle est subordonnée à la partie philosophique. Un jour peut-être, un esprit assez large pourra embrasser d’un seul coup