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CLAY. — le sens commun contre le déterminisme

tout ce qui regarde l’homme, et tant qu’elle n’est pas maîtrisée par la Volonté, est un enfer, un enfer où il n’y a qu’une issue, à savoir le chemin de l’abnégation. Combien répugnant pour notre orgueil est ce chemin de l’humble douceur ! Il nous faut cesser d’être des chaînons de cette chaîne par où s’opère la circulation du mal. Projectile mû par l’Instinct, notre voisin est lancé contre nous ; il est de ceux, par exemple, qui nous doivent un respect particulier ; et il n’en ajoute pas moins au tort qu’il nous cause l’insulte ; alors s’empare de nous une indignation qui se sent justifiée. Mais nous nous sommes voués à la cause de la dignité et du salut de l’humanité, et du fond de notre mémoire une voix nous murmure de ne pas céder à l’indignation. Cette suggestion trouble notre cœur jusqu’à la défaillance ; notre orgueil, dédaignant la magnanimité, bondit de mépris pour tant de bassesse ; la justice, ou ce qui nous semble être la justice, y voit un ignoble accommodement, comme serait le fait d’entrer en composition avec un brigand. Et cependant la voix qui vient du fond de notre mémoire réclame de nous mieux qu’une simple abstention : elle nous commande de mettre à la place de l’indignation la charité, sous forme de pitié pour notre offenseur. C’est cela et rien de moins, que le devoir, et avec lui le sens commun éclairé, exige de la Volonté guidée par le Christ. Si la Volonté prévaut, sa victoire semble d’abord être un prodige. Mais il arrive qu’elle prévaut quelquefois, puis elle l’emporte régulièrement, elle l’emporte invariablement, et chacune de ses victoires laisse son ennemi visiblement plus faible. De telles victoires démontrent que la nature est plastique, qu’elle peut se plier à la discipline chrétienne, et qu’enfin peut s’établir sur la Nature le règne de la volonté et de la Sagesse. Et même, n’est-ce pas là tout le but de l’évolution ? Voyez en effet les progrès par où elle s’est avancée de l’état où l’univers était un gaz incandescent jusqu’à l’état que symbolise le Christianisme en ce dix-neuvième siècle, de la période de notre ancêtre simien jusqu’à celle où marque le Christ. Il semble qu’aujourd’hui l’évolution nous crie : « Tout ce que j’ai pu sans votre secours faire pour établir la souveraineté du divin sur la nature, je l’ai fait ; à vous maintenant, à vous agents de l’évolution volontaire[1], de compléter mon œuvre, et de devenir celui même que jusqu’ici, dans votre illusion, vous avez adoré, à vous de devenir Dieu. »

Edmond R. Clay.

  1. Jusqu’ici le genre d’évolution que j’appelle « l’évolution volontaire » était resté inconnu.