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l’esprit ait l’intention de se lasser lui-même, que la tension dont il est excédé soit une intention ? Assurément non. Ce que l’esprit, en un pareil embarras, peut comporter d’intention, est tenu en échec et vaincu par la tension d’où résulte la fatigue. Nous voyons là en conflit deux tendances de l’esprit, l’une qui appartient à l’esprit en tant que personne, au moi, l’autre à l’esprit en tant qu’impersonnel : celle-là est une intention au sens propre du mot ; celle-ci une contrefaçon d’intention. D’autre part, on peut déduire, de certains faits de l’ordre mental, qu’il existe dans l’esprit une partie inconsciente, et nous avons la preuve concluante, d’abord que cette partie inconsciente consiste principalement dans le cerveau, et ensuite que toute conscience est l’effet d’un événement corporel inconscient. Ces faits nous poussent vers cette conclusion, que l’intention est le produit d’une fonction du corps à l’état normal, et que la contrefaçon de l’intention, la pseudo-intention, résulte d’un fonctionnement cérébral morbide ; qu’enfin ce qu’on désigne par le pronom je ou moi n’est point un être humain sans rapport avec aucune fonction organique, mais bien l’être humain en tant que sujet de l’organisme fonctionnant d’une manière saine. Ce qui m’autorise à définir l’intention « une tendance normale de l’esprit ».

Voilà donc la délibération, l’intention, l’attention, distinguées et mises hors du genre volition : c’est là toute une révolution. La volition présuppose les trois autres opérations et doit par cela même être différente de chacune des trois. Si l’on considère que le moi est une substance simple, une monade apte à devenir un sujet de conscience et qui le devient à la faveur de certaines actions inconscientes exercées sur elle par un organisme qui y est lié ; qu’en un mot, le moi est une âme ; alors on devra dire que dans les états de délibération, d’intention ou d’attention, il est passif, bien qu’il s’apparaisse à lui-même comme actif ; il peut bien sembler actif, mais en dehors de la volition il ne l’est jamais ; il est, à l’égard de toute autre démarche humaine, aussi passif, aussi inerte que « la motte de terre sur la bêche du laboureur, ou qu’un cadavre soumis à une action galvanique ». Il est ainsi misérablement passif, aux moments où il lui semble qu’il exerce une activité magistrale, quand, sous l’empire de processus corporels inconscients, il sert d’instrument à prononcer des commandements sur le champ de bataille, à produire ces effets d’éloquence qui entraînent « les sénats attentifs », à proférer des édits despotiques, ou qu’il sert d’intermédiaire pour l’enfantement d’une idée poétique, d’un trait d’esprit, d’une invention quelconque, d’un sentiment religieux et moral de l’ordre le plus haut : oui, les sentiments les plus saints, les plus nobles sont, aussi bien que leurs