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gouvernail, et semblablement subordonnée à celle d’une force différente, qui est une force de propulsion. On voit par là que l’office de la Volonté, c’est celui d’un gouvernail, non d’un propulseur. Les forces de propulsion auxquelles est subordonnée l’action directrice de la Volonté sont nos penchants, c’est-à-dire nos appétits, nos passions, nos goûts, etc. Elles commencent par agir à titre d’instincts, d’instincts intentionnels. Opposées entre elles, elles donnent naissance à des conflits de motifs, par là à la délibération et à des actes de choix apparent. Jusqu’au moment où l’impératif moral apparaît dans une alternative pratique dont il est l’un des termes, la Volonté demeure inactive. Quand la Volonté se montre, le penchant cesse d’agir comme force instigatrice, et n’est plus qu’une simple source de motifs, de motifs que la Volonté peut, si elle les sanctionne, convertir en intentions. L’intention, soit instinctive, soit volontaire, est la cause prochaine qui met en jeu les forces musculaires, et celles-ci sont la cause prochaine du changement corporel visé par l’intention. La volition, qu’elle soit ou non sans choix, se borne à être cause de l’intention. Elle est objet d’aperception, non de perception. Dans l’ordre des causes, elle est séparée par un intervalle de trois rangs des démarches corporelles qu’elle contribue à produire. Entre cet effet et elle-même interviennent deux causes : l’intention et la force musculaire.

Ici encore j’introduis une remarque le stoïcisme, ignorant que supprimer les penchants c’est supprimer la Volonté même, projeta de fonder sur la ruine de nos penchants le règne de la Volonté. De son côté, l’ascétisme risque de tomber dans une erreur toute pareille : parfois, dans un élan passionné de bassesse implorante, il semble prêt à abolir en nous et Volonté et penchants, pour y substituer une piété sans cesse en adoration. On a trouvé en Égypte des momies de taureaux en prière, les genoux pliés, les yeux tournés vers le ciel et adorant : l’ascétisme dont je parle ici irait volontiers jusqu’à vider l’être conscient de tout ce qui le constitue, sauf le sentiment qu’exprime ce symbole ; nul mouvement de l’intelligence, nulle variation dans l’émotion ne viendrait jamais troubler l’éternelle monotonie de l’adoration où il tend. Si le chrétien sait bien comprendre la dépendance de la volition à l’égard des penchants, il évitera dans la pratique la déviation ascétique, et la vie chrétienne reprendra cette largeur et cette aisance dont nous donna l’exemple celui qui a voulu traverser la vie, mangeant, buvant, allant aux repas de noces, fréquentant toutes les réunions gaies et innocentes.

La conduite est régulière ou irrégulière : régulière quand l’agent se réfère à une règle applicable à tout un genre d’occasions ; irrégu-