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CLAY. — le sens commun contre le déterminisme

loppement de l’esprit chrétien. L’Instinct peut avoir des intermittences, et pendant ces intermittences, l’obsession dont nous sommes l’objet de la part du devoir peut persister : c’est alors que la Volonté trouve l’occasion de s’exercer ; et quand enfin, en présence du mal, en face de la découverte de ce qu’il y a d’abject et de cruel dans la condition humaine, notre foi en un principe divin surnaturel se trouve ruinée, alors la Volonté, fortifiée par l’esprit chrétien, se voit capable de travailler seule et sans aide à l’œuvre du devoir.

Il n’est pas du ressort de la Volonté d’être la cause directe d’une modification du corps, telle que l’acte de regarder, d’écouter, de marcher, de parler, de mouvoir nos membres en quelque façon que ce soit. Ce sont d’autres forces qui se chargent d’exécuter ses desseins. On a parfois représenté Dieu sous la figure d’un vieillard porté sur les épaules de jeunes anges robustes qui exécutent ses desseins. C’est là l’image du rapport qu’il y a entre la Volonté d’une part, l’intention et les forces musculaires de l’autre. La Volonté forme l’intention, et elles l’exécutent. Il nous arrive parfois d’essayer de lever notre main et de n’y pas réussir. C’est qu’à notre insu, le pouvoir chargé de lever notre main s’est trouvé paralysée. Les puissances musculaires, qui sont les auxiliaires de la Volonté, ne tombent pas sous l’intuition : on ne les peut connaître que par inférence, et cette inférence elle-même n’était pas possible avant que la science eût atteint un degré de développement où elle est parvenue récemment. Ces forces inconscientes servent de ministres à l’Instinct intentionnel aussi bien qu’à la Volonté ; elles savent aussi bien produire en nous les signes naturels de la colère et du mépris que ceux de la vénération réfléchie (laquelle est un hommage prescrit par la Volonté). Elles font leur besogne sans le secours de la connaissance, et leur sujet ne sait rien des organes complexes et délicats par lesquels elles s’exercent.

Si l’on considère la relation de finalité réciproque qui lie entre elles la Volonté avec la Bonté morale, il semblera que la conduite de notre vie soit la seule affaire de la Volonté ; et, par conduite, j’entends une suite de démarches conformes à un art de vivre. L’impératif moral, en effet, ne nous enjoint pas seulement telle démarche une fois faite, il nous la commande comme étant conforme à un certain art de vivre : ce que j’appelle conduite consiste à obéir à cet ordre. Les règles de cet art peuvent être, soit créées par l’agent lui-même, qui se les impose, soit imposées par autrui, ainsi par Moïse ou le Christ parlant au nom de Dieu. Ce qui s’oppose directement à la conduite, c’est une suite de démarches spontanées et intentionnelles. La conduite a sur notre vie une action analogue à celle du