Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/489

Cette page n’a pas encore été corrigée
479
CLAY. — le sens commun contre le déterminisme

à savoir une exaltation de l’amour de Dieu, qui est une variété de ce que les profès appellent la grâce ; mais le profès lui-même, l’homme avancé dans la vie spirituelle, n’a plus à sa disposition ce support : il semble qu’il soit abandonné à ses propres ressources, réduit à accomplir par lui-même le devoir, et à faire ce que la grâce opérait à elle seule chez le novice. Ils chevauchent à l’aise, ceux qui sont portés par la grâce », dit avec une aimable ironie l’auteur de l’Imitation, voulant opposer au sort de ceux qui sont ainsi portés par la grâce la rude et pénible condition vers laquelle la grâce les porte, et où elle est sur le point de les abandonner. En ce dernier état, l’obéissance au devoir est attribuée à ce qu’on appelle, dans le langage de la vie spirituelle, la vertu solide, et par vertu solide on entend l’esprit qui se manifeste par une obéissance persévérante au devoir, obéissance qui ne tire d’aucun principe d’émotion sensible, ni aide, ni consolation. Nous savons tous combien il nous répugne de nous exposer à l’ennui d’obéir à une simple velléité de prudence : la vertu solide a pour caractéristique une répugnance analogue. L’agent se fait à lui-même l’effet d’être indifférent au devoir : sa conduite lui semble mécanique et sans but. Cette indifférence apparente fait même naître en lui cette question : Pourquoi est-ce que je persiste ? Certes, les faits ne sont pas en faveur de l’hypothèse qu’en obéissant au devoir nous céderions à des forces instigatrices. L’agent ici semble être son propre moteur bien plutôt que recevoir son mouvement. Et si la grâce, comme l’appellent les adeptes de la vie spirituelle, est de l’ordre de la nature, comme il est extrêmement probable, la grâce nous révèle dans la nature l’équivalent d’une intention tendant à exciter l’homme à exercer sa faculté d’activité pure dans l’intérêt du développement de la bonté morale. Cette indication si importante est fortifiée par une autre : c’est à savoir qu’il y a dans la nature l’équivalent d’une intention de développer un règne du Λόγος, d’un Λόγος fait de Volonté et de Bonté morale, et que j’appelle Λόγος parce qu’il est à la fois la manifestation et le produit ou le Fils du principe inconscient et divin qui est dans la Nature. Ce qui prouve l’existence de ce second équivalent, c’est l’état de dépendance mutuelle où sont la Volonté et la Bonté morale que la Volonté développe. La Bonté morale est ou instinctive ou volontaire : elle est volontaire quand elle est le produit commun de la Bonté morale instinctive et de la Volonté. Elle diffère de la Bonté morale instinctive sur trois points : 1o elle se connaît elle-même et sait son origine ; 2o elle implique des motifs raisonnés, d’où elle procède ; 3o elle exclut toute impulsion, elle défère à la volonté, elle n’obéit à aucune force instigatrice. La Volonté, quand elle n’est pas protégée