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conduite des hommes est conforme à des règles et accessible à la prévision, ce n’est pas à dire qu’elle soit soumise à une loi ; et nous avons là un exemple remarquable de ce fait, que se conformer à une règle n’est pas nécessairement se conformer à une loi.

Les faits d’hypnotisme ont, eux aussi, comme la possibilité de prédire la conduite des hommes, paru constituer une réfutation du libre arbitre. Ils sont parfaitement compatibles avec la liberté. Ils prouvent seulement l’existence d’un homme purement instinctif, jouet des forces inconscientes ; ils s’accordent d’ailleurs avec celle de l’homme nouveau, de l’homme de la Volonté, lequel doit jusqu’à certain point remplacer, et pour le surplus conduire, l’homme du pur instinct.

Maintenant, j’ai détruit tous les arguments avec lesquels le Déterminisme a donné l’assaut au libre arbitre, en essayant d’en prouver l’incohérence. J’ai fait voir qu’en ce qui regarde la cohérence, la donnée naturelle fondamentale, selon laquelle l’homme est un agent libre, échappe à tout reproche. Par conséquent, si la Raison n’est pas dénuée de tout crédit, — ce qui arriverait au cas où les données naturelles fondamentales cesseraient d’être valables, — il faut conclure que l’homme est parfois un agent libre.

IV

La Volonté a été définie le pouvoir de choisir. Selon cette définition, il n’y a d’autres volitions que les actes par lesquels nous faisons un choix : une volition qui n’est pas un choix n’existe point. Pourtant, il n’y a pas d’incohérence dans l’idée d’une volition qui n’est pas un choix, et rien dans l’ensemble des connaissances humaines ne vient nous autoriser à croire qu’à cette idée ne correspond aucune réalité. Un homme peut se trouver sollicité, par un motif de l’ordre du devoir auquel nul autre motif ne s’oppose, de prendre la résolution de conformer la conduite de toute sa vie au principe de la bonté morale ; il peut prendre en effet cette résolution et y obéir jusqu’à la fin de sa vie. Si sa résolution a procédé d’une délibération calme, il est au moins probable que c’est là chez lui une action pure, que l’agent n’a pas obéi à une force instigatrice, que le motif tiré du devoir a agi sur lui comme une sollicitation, non comme une impulsion instinctive. En fait, s’il faut en croire l’expérience de ceux qui pratiquent la vie spirituelle, l’absence de toute force instigatrice est ce qui caractérise la présence du sentiment du devoir. Le simple novice au contraire est visiblement mû comme par un instinct, il est porté, pour ainsi dire, sur une vague de marée, c’est