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ce qui est préférable au meilleur sens du mot, et nous faisons le contraire. En voilà assez, je crois, pour écarter cette objection, que la Volonté, dans l’acte de choisir ou qui nous paraît tel, est commandée par le jugement final de l’entendement.

On oppose encore à la doctrine du libre arbitre qu’elle est incompatible avec la théorie de la conservation de la force. Si l’allégation était vraie, eh bien ! ce serait la théorie de la conservation de la force qui devrait succomber. Et en effet elle repose sur une évidence qui n’est pas démonstrative, et il y a absurdité à prétendre qu’une évidence de cette sorte peut renverser une donnée naturelle fondamentale. Mais d’ailleurs le théorème qu’on peut établir à l’aide de cette évidence, ce n’est pas que la quantité de force existant dans le monde est toujours la même, mais bien que la quantité de pouvoir est toujours la même : ce qui n’est nullement en désaccord avec la doctrine du libre arbitre.

La force, c’est le pouvoir en activité. Le pouvoir du charbon, quand il n’est pas enflammé, son pouvoir de devenir feu et par là force, est un pouvoir inactif : ce n’est pas encore une force. Le pouvoir d’une pierre placée au-dessus d’un précipice, sa puissance de devenir en tombant le sujet de tel ou tel moment mécanique, est un pouvoir inactif, non une force. C’est par une confusion entre le pouvoir inactif et la force, qu’on a cru pouvoir utiliser l’évidence qui sert à établir le théorème de la permanence de la force, en vue de prouver que la quantité de force existant dans le monde est toujours la même[1]. Tant que la Volonté a été confondue avec l’instinct inten-

  1. C’est là un sujet fécond, et qui mérite plus de développements que n’en comporte le cours du texte. Pour démontrer la théorie que la quantité d’énergie existant dans le monde est invariable, il faut admettre : 1o qu’il existe un univers extérieur au moi, et dont la partie fondamentale ne peut être ni produite ni annihilée naturellement ; 2o qu’il y a une réalité, dont l’idée de pouvoir est le symbole mental, et qui est un attribut de cette partie fondamentale. Cela posé, on peut démontrer que cette partie est faite d’atomes, c’est-à-dire de substances simples, en d’autres termes non composées elles-mêmes d’autres substances, et en outre, que ces atomes sont, soit isolément, soit par leur agrégation, les sujets derniers de tous les attributs ; que les qualités des substances composées sont des composés des qualités des atomes ; et qu’enfin celles de ces qualités qui sont des pouvoirs, sont ou bien les pouvoirs des atomes, et par suite des pouvoirs simples, ou bien des composés de ces pouvoirs. Parmi les pouvoirs, se trouve le pouvoir de choisir. Il est simple ; il ne peut être ni produit ni annihilé par les voies naturelles ; ce qui revient à dire qu’il est éternel, non dérivé, absolu. Il est inhérent soit à certains atomes, soit à tous, mais sans pouvoir devenir une force tant que son sujet n’est pas placé dans la situation d’une âme par rapport à un organisme ; encore faut-il qu’alors il y soit provoqué par une alternative pratique. Une fois mis en relation, de la manière qui lui est nécessaire, avec une alternative pratique, le pouvoir peut devenir une force. Le pouvoir de choisir ne saurait d’ailleurs ni accroître ni diminuer la quantité de pouvoir qui existe dans le monde. Il peut faire varier la quantité de force, la quantité de mouvement