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CLAY. — le sens commun contre le déterminisme

Si je réfute toutes celles qu’on a formulées, j’aurai fait tout ce que la Raison exige pour la restauration de la doctrine du libre arbitre.

III

Dans son traité bien connu sur la Volonté (2e partie, sect. 1-2), Jonathan Edwards objecte à la doctrine du libre arbitre, que tout choix suppose une détermination de l’esprit, en tant que Volonté, par lui-même ; que toute détermination, étant un événement, suppose un autre événement qui est sa cause, celui-ci un autre, et ainsi de suite à l’infini. Cette objection se trouve implicitement réfutée par notre analyse de l’acte de choisir : nous y avons vu, en effet, que choisir est, pour l’esprit en tant que Volonté, se déterminer soi-même ; ce ne sont là que deux aspects d’une seule et même chose.

Une autre objection au libre arbitre repose sur cette idée préconçue, que la Volonté est simplement le pouvoir de causer une action conforme au jugement final de l’entendement ; chaque fois qu’il y a volition, l’entendement formerait un jugement final, déclarant que tel ou tel des deux motifs en présence est préférable, après quoi la volonté préférerait nécessairement le motif désigné. Un motif préférable ! À quel point de vue, préférable ? D’abord, il est rare qu’un jugement serve d’antécédent voisin et direct à un acte de choix. Le plus souvent, bien avant de faire un choix, nous savons tout ce que nous avons besoin de savoir sur les raisons de préférence de chaque motif. Nous savons que, d’après un certain critérium, il est préférable de régler nos préférences sur le devoir, et que, d’après un autre, il est préférable d’éviter la douleur qui accompagne l’accomplissement du devoir. Nous avons donc à choisir, non seulement entre des motifs contraires et des raisons de préférence opposées entre elles, mais aussi entre des critères opposés de ce qui est préférable, le critère moral et le critère du plus désirable. Entre le devoir et le plus désirable il n’existe pas de commune mesure, pas de balance pour déterminer lequel des deux est plus désirable que l’autre. Il n’y a pas place pour un jugement final capable de réduire la Volonté à opter pour l’un des deux termes de l’alternative pratique. Sans doute, il y a une question qui doit être résolue par une préférence : mais ce n’est pas à la faculté de juger que cette question s’adresse. La question n’est pas en effet : « Qu’est-ce qui est préférable ? » mais bien : « Faut-il, oui ou non, m’exposer à la douleur d’accomplir mon devoir ? » Le plus souvent « nous voyons ce qui serait le meilleur parti, et nous suivons le pire ». Nous savons