Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/483

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
473
CLAY. — le sens commun contre le déterminisme

le cœur de l’homme du devoir, la passion, l’appétit, atteignent à leur comble, et quand le sentiment du devoir devient si faible que lui-même s’étonne comment il peut y demeurer attaché, c’est alors qu’il s’aperçoit qu’il a affaire à une raison de préférence qui n’est pas simplement une peine à éviter. Voici une preuve plus forte encore : Il arrive qu’un homme parvenu au milieu de sa vie, exempt d’ailleurs de toute croyance à un châtiment après la mort, s’arrête sur la mauvaise route, s’engage à vivre désormais selon les principes chrétiens, et les suit en effet jusqu’à la fin de ses jours. Il n’est pas croyable qu’à partir de sa conversion jusqu’au terme de sa vie il n’a jamais été sollicité par un motif mauvais et supérieur en force au motif chrétien, que malgré cela il préfère. L’induction atteste que cela est en effet fort improbable. Il semble donc bien qu’il soit dans l’essence du choix, que l’esprit qui choisit se place en face d’un couple de raisons contraires, dont l’une est la dignité inséparable du devoir, l’autre la supériorité, au point de vue de nos désirs, de l’acte que le devoir défend, ou de l’abstention à l’égard d’un acte que le devoir commande. Ainsi donc la volonté, comme pouvoir de choisir, a affaire uniquement aux alternatives pratiques dans lesquelles le symbole mental du devoir figure à titre de motif et de raison de préférence.

Tout choix suppose : 1oune personne, un agent personnel ; 2o un pouvoir de choisir qui appartient à cette personne ; 3o chez la personne, la conscience de deux motifs opposés constituant ce que nous appelons une alternative pratique. Ce sont là trois choses que le choix suppose manifestement ; et il y faut ajouter les diverses circonstances que ces trois choses supposent à leur tour : ainsi le temps, l’espace, un univers extérieur à la personne. Il est une autre condition que le choix suppose encore, mais d’une manière qui n’est plus manifeste : à savoir l’intention, imposée à la personne par les conjonctures où elle est, de prendre une résolution conforme à l’un ou à l’autre des motifs opposés : entendez bien, à l’un ou à l’autre, et non à celui-ci ou à celui-là. Cette intention n’est pas un choix : c’est une tendance de l’esprit. Tels sont les divers éléments qui composent l’antécédent direct et voisin du choix : il se peut d’ailleurs que cet antécédent comporte encore d’autres éléments. La personne qui est supposée comme antécédent immédiat du choix, est inactive : ce qui semble impliquer qu’elle ne peut pas être cause du choix ; car comment une chose inactive serait-elle cause ? Nous aurons à revenir sur cette importante question. Choisir, c’est à la fois préférer un des deux motifs opposés, former la résolution de se comporter conformément au motif préféré, c’est aussi pour l’esprit en tant que volonté se déterminer et devenir cause d’une intention. Ce ne sont