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CLAY. — le sens commun contre le déterminisme

pratique est une espèce du genre action. Lorsque, dans une boutique, je compare deux ou plusieurs objets, avec la pensée d’acheter celui qui me convient le mieux, que j’achète l’un et que je laisse l’autre, j’exerce là une préférence qui est bien un acte : c’est une préférence pratique. Je fais quelque chose, je me mets en possession d’un objet et je le paye, et j’en rejette un autre. Ce genre d’acte nous offre un exemple de la préférence pratique. Le sous-genre, préférence pratique, se divise en deux espèces : celle où l’agent est dans la nécessité de préférer ce qu’il préfère, et l’autre. C’est cette dernière que, dans les discussions sur le libre arbitre, on désigne sous le nom de choix. Maintenant considérez au milieu de quelle confusion s’agitaient ces discussions, tant qu’elles se fondaient sur l’idée vulgaire de choix. D’après cette idée, l’acte de l’acheteur de tout à l’heure est un choix ; il y a choix tout aussi bien à adopter un ruban qu’à adopter le dessein d’obéir au devoir plutôt qu’à un désir contraire et plus fort. Il n’est pas étonnant après cela que tout le monde, sauf peut-être quelques gens qui ne sont pas du monde, soit sur le chemin du Déterminisme. Si l’on part de la notion confuse du choix, qui est celle de tout le monde, si l’on est avec lui l’esclave du désir le plus fort, on devra invariablement, donc nécessairement, choisir ce qu’on désire le plus ; tout choix supposera auparavant un désir supérieur en force, qui aura eu pour objet la chose même qu’on choisit. Le monde n’avait pas fait l’expérience de cette chose si rare, le choix au sens strict du mot, ce qui lui eût été nécessaire pour arrêter au passage l’idée qu’il se faisait du choix et pour la purger de tout alliage : en effet, choisir c’est être capable d’abnégation, de l’abnégation qu’il y a à repousser le motif le plus fort ; et c’est de quoi bien peu d’hommes ont été capables jusqu’ici.

Oui, le pouvoir de choisir repose sur le pouvoir de se dévouer, de s’infliger la douleur de rejeter le motif le plus fort. Quiconque ne possède pas ce pouvoir n’est pas capable de faire un choix. Quand il se figure avoir choisi, il a tout simplement exercé ce que j’appellerai de pouvoir de préférer sans choisir. Je ne veux pas dire que tout choix implique nécessairement abnégation ; un mauvais choix au contraire exclut toute abnégation : je dis simplement que choisir c’est avoir la faculté de faire abnégation de soi-même. Si toute démarche humaine était nécessairement conforme au désir le plus fort, le choix, au sens strict du mot, serait chose impossible.

Est-ce que les actes au sujet desquels l’agent a eu à envisager une alternative pratique, les actes qui semblent par suite être les résultats d’un choix, sont tous volontaires ? Nullement. Dans toute alternative pratique où ne se trouvent pas opposés l’un à l’autre la dignité