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intentionnel ni accompagné de choix, et il est probable qu’ici la réalité correspond à la conception. Nous avons des raisons pressantes, bien plus, concluantes, de croire que l’homme est un composé de corps et d’âme ; que dans les actes produits par l’instinct intentionnel, le corps agit sur l’âme, l’âme étant ici le patient, et le corps l’agent ; tandis que, dans l’action pure ou volition, c’est l’âme seule qui est agent[1]. Et ce n’est pas seulement dans l’acte de choisir qu’elle est seule agent, elle peut l’être aussi quand elle cède à un motif que rien ne combat. Cela posé, admettre l’hypothèse que le choix est un élément essentiel de la volition, c’est sous-entendre que l’âme est incapable d’activité pure sauf quand elle a l’occasion de choisir, et que par suite, en dehors des occasions de ce genre, elle est simplement un jouet que fait mouvoir le corps, que dirigent les forces phsiques inconscientes. L’hypothèse au contraire que le choix n’est pas indispensable dans la volition, sauve de ce péril la dignité humaine, et nous permet de croire à la possibilité, pour l’âme, d’arriver à prendre sur le corps assez d’ascendant pour substituer en beaucoup de cas la volition à l’action de l’instinct intentionnel, si bien que ce qui n’est actuellement qu’en apparence activité personnelle le devienne en réalité pour sa presque totalité. Je ferai voir que, selon la raison et le sens commun, cette hypothèse est vraie, ou du moins que l’opinion d’après laquelle elle est vraie est l’opinion préférable. Mais avant d’en venir là j’ai d’abord à réfuter le Déterminisme, et pour cela à montrer que l’idée de ce choix est cohérente, et que cohérente aussi est la donnée naturelle où nous nous apparaissons à nous-mêmes comme accomplissant l’acte de choisir.

Qu’est-ce donc que choisir ? Jusqu’ici nous n’avons examiné cet acte qu’à travers l’idée vague que s’en fait le vulgaire. Maintenant il s’agit de la mettre dans l’alambic du philosophe, de la distiller, et d’en extraire une idée précise du choix. La différence qu’il y a entre choix et préférence a jusqu’ici échappé à tout le monde ; autant que je peux savoir, elle n’a jamais été mentionnée au cours de la discussion si longue pourtant à laquelle a donné lieu la question du libre arbitre. La préférence est le genre ; le choix n’en est qu’une espèce. Le genre se divise en deux sous-genres : la préférence affective et la préférence pratique. On dit que nous préférons une chose quand nous la trouvons meilleure, ainsi quand nous trouvons ce tableau meilleur que cet autre, ce poème meilleur que celui-là, le bœuf meilleur que le mouton. Cette appréciation n’est pas un acte : elle n’a rien de pratique, elle est purement affective. De son côté, la préférence

  1. Voir l’Alternative, livre III, chapitre iv.