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l’incohérence, mais il n’aura pas à démontrer autrement notre liberté : en effet, vouloir prouver une donnée naturelle cohérente, c’est vouloir dorer de l’or fin. Maintenant, quand on accuse une donnée d’incohérence, on suppose par là même qu’il est impossible d’imaginer une hypothèse où la donnée serait cohérente ; et pour réfuter l’accusation, il suffit de produire une telle hypothèse. Il est vrai qu’il peut y avoir plusieurs hypothèses répondant à cette condition, et celle qu’on produit peut n’être pas la vraie, ou n’être qu’en partie vraie. Mais vraie ou non, elle réfute l’accusation, et elle devrait suffire à rétablir la donnée dans ses droits. Toutefois ici intervient une loi dont personne jusqu’à ce jour n’a fait mention. Les croyances primaires, celles qui ont trait aux données naturelles, ne se remettent jamais tout à fait du choc que leur imprime un doute sérieux. Elles perdent pour toujours cette ferme certitude qu’elles possédaient. Tout ce que peuvent faire pour elles la Raison et le sens commun, c’est de leur donner pour appui une opinion forte. Et c’est ici qu’un acte d’arbitrage peut leur venir en aide et les étayer. Ainsi donc, on a beau repousser l’assaut que le déterminisme dirige contre la donnée du libre arbitre, cette donnée n’en perd pas moins sans retour son crédit primitif, et ce qui aggrave cette déchéance, c’est que l’argument dont on se sert pour repousser l’attaque substitue une hypothèse à ce qui était une certitude ; et ce qui est bien pis encore, cette hypothèse, on peut considérer qu’elle est seulement une des hypothèses multiples également propres à cette réfutation, et qui forment comme une région des possibles, où l’esprit est libre de vagabonder à son caprice. La Raison et le sens commun avouent qu’ils ne peuvent se passer d’un arbitrage pour établir ce qu’ils déclarent être l’opinion préférable, à savoir celle-ci, que la donnée contestée est vraie. Aussi, en fait de choses prouvées, je m’en tiendrai ici à démontrer que la donnée relative au libre arbitre est cohérente et à réclamer qu’elle soit en conséquence tenue pour vraie ; pour le surplus, je ne propose rien de définitif et je me borne à présenter ce qui me paraît dans les circonstances actuelles la meilleure théorie provisoire de la Volonté.

II

La volition ou ce qui s’offre à nous sous ce nom, est la seule espèce d’action qui nous apparaisse, dans une donnée naturelle, comme n’enveloppant aucune passivité. En toute autre action, l’agent est aussi patient. Un corps qui en choque un autre est, à l’égard du choc,