Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/475

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
465
CLAY. — le sens commun contre le déterminisme

données qui ne sont cohérentes qu’en partie : en pareil cas, le sens commun s’attache à la partie de la donnée qui est cohérente, et fait bon marché du reste. Exemple, cette donnée, que l’homme est une chose durable : on vient à s’apercevoir qu’elle est fausse au regard du corps humain ; mais elle n’est pas nécessairement fausse en tout point, puisque l’homme peut être, en l’une de ses parties, cette chose durable qu’on appelle l’âme ; cela étant, le sens commun, sur l’autorité de la donnée en question, tiendra que l’homme est en partie une âme, et par là une chose durable. De même, quand on s’aperçoit que la donnée naturelle relative à notre libre arbitre est incohérente au regard d’une certaine espèce d’actes jusque-là considérés comme volontaires, elle ne devra pas moins être tenue pour valide au regard d’autres actes, à propos desquels il n’a pas été prouvé qu’elle fût incohérente. C’est là une innovation surprenante sans doute, mais on la trouvera fort prudente si l’on veut bien considérer l’autre branche du dilemme.

Cela dit, l’exposé qui va suivre, concernant la volonté, est valable exclusivement aux yeux de ceux qui subissent assez l’empire du sens commun pour accepter la règle capitale de la méthode de recherche qui lui est propre, la règle du respect pour les données naturelles cohérentes.

Parmi les données naturelles fondamentales, l’une des plus importantes est que nous sommes des agents libres, doués du pouvoir de choisir, de préférer entre deux motifs le plus faible. Si nous ne sommes pas des agents libres, la faculté morale n’est qu’une menteuse, les idées de droit et de tort ne sont que des mensonges. Si nous sommes de simples jouets de la Nature, et par là du Destin, le meurtrier est aussi innocent de son meurtre que le couteau même dont il se sert.

Nier que nous soyons des agents libres, c’est ruiner en nous tous les éléments qui tendent à faire que l’individu s’accommode, sincèrement et avec abnégation, au bien de la société ; c’est obliger la société de ne compter pour sa protection que sur un régime de terreur. Tout ce qu’il y a d’infernal dans la nature humaine ne demande qu’à secouer la chaîne du libre arbitre ; à l’en croire, la donnée qui concerne notre liberté d’action serait frappée d’incohérence. Supposez que cette incohérence vienne à être prouvée : la cause de la bonté morale, de la dignité humaine et du bien-être des hommes, est une cause perdue. Au cas contraire, ce qu’il y a de divin dans l’homme s’attachera à la donnée contestée, et aura pour s’appuyer la logique, c’est-à-dire la Raison et le sens commun ; le principe divin aura alors à sa charge de réfuter tout argument tendant à prouver