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explication de la seconde sorte présuppose une donnée naturelle dont la puissance d’explication est la condition sine qua non de la sienne propre. C’est ainsi que toute explication en mathématiques dépend des axiomes mathématiques. Quant aux sciences inductives, il est de l’essence de toute expérience d’envelopper quelque donnée naturelle, et c’est sur ces données que reposent toutes leurs explications. La preuve par laquelle Galilée renversa cette donnée, que la terre est immobile, tire sa puissance d’explication de celle même des données naturelles qu’elle présuppose. Semblablement, la preuve par laquelle l’hypothèse darwinienne a renversé, ou peu s’en faut, la donnée de l’immutabilité des espèces, doit toute sa puissance d’explication à celle des données naturelles qu’elle-même présuppose. Quand une hypothèse révolutionnaire renverse une donnée naturelle, la victoire de celle-ci est due surtout à la puissance supérieure d’explication qui appartient à certaines données naturelles. Telle est la dépendance de toute inférence et de toute explication à l’égard des données naturelles. Maintenant il arrive souvent que l’esprit, en tant que source de données naturelles, en produit qui sont incohérentes, comme celle de l’immobilité de la terre ; et alors la Raison, intolérante de toute incohérence, exige la suppression de ces données. Placé devant ce dilemme, l’esprit n’a que le choix de prendre le gouvernail, ou d’aller à la dérive. Mais la Raison, le sens commun, le sentiment de la dignité humaine, nous interdisent de nous laisser dériver. Or gouverner, ici, c’est avoir recours à une innovation choquante : il ne s’agit de rien moins que d’une intervention arbitraire dans les démarches de l’entendement, d’une irruption de l’arbitraire dans l’intimité, jusqu’ici sacrée, où s’élabore la connaissance, d’une mainmise arbitraire enfin sur les matériaux de cette connaissance. Or qu’est-ce que cela, sinon le scepticisme même à l’œuvre, fabriquant des contrefaçons de croyances, et les affublant du nom de connaissance ? Ce n’est en effet guère que cela, si l’on compte pour rien la foi : et l’esprit humain est un si misérable pis aller, il est si désespérément incapable de toute certitude légitime selon la logique, qu’il lui faudrait bien, ayant à choisir de deux maux le moindre, s’accommoder même de ce peu. Le sens commun survient alors, appuyé sur la foi, — la foi en l’esprit humain et particulièrement en la faculté morale ; — il offre de prendre en main le gouvernail, et d’en user conformément à une méthode de recherche dont la règle capitale est de respecter les données naturelles fondamentales quand elles sont cohérentes. (J’appelle fondamentales les données qui servent de base à une portion considérable du système des croyances humaines.) Cette règle capitale s’applique même aux