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L. DE LA RIVE. — sur la genèse de la notion d’espace

par l’acquisition d’une habitude, à la transformation d’une expérimentation consciente en une donnée définitive, acceptée, ignorée, de notre activité volontaire. Faisant donc intervenir une adaptation progressive des perceptions et de leurs associations aux conditions qui leur sont imposées, et une transmission par voie héréditaire des acquisitions, on ramène les propriétés de l’espace visuel monoculaire à celles de la sensation simple. Cette dernière expression est employée ici par opposition à celle du mouvement complexe qui caractérise la notion d’espace tactile.

La méthode que je viens d’indiquer conduit de la même façon à la notion d’espace tactile. La production en est due à l’association des sensations de mouvement complexe, avec la sensation du contact attribuée à la cause localisée. Le mouvement complexe étudié est celui d’un bras schématique dont l’humérus a les mêmes mouvements que le globe oculaire et où l’articulation secondaire, l’articulation du coude, détermine une modification de l’organe même de mobilité. Le rôle de l’articulation secondaire consiste à produire une sensation se superposant à une direction donnée du champ de la sensation simple, et déterminant la notion consciente de distance à partir du centre. Aussi, tandis que l’espace monoculaire est une sphère de rayon indéterminé, l’espace tactile est une sphère de rayon variable et déterminé. J’attire de nouveau l’attention sur la génération uniquement subjective de la notion, sans qu’il y ait lieu de faire intervenir la manière d’être objective de la matière et de vouloir la transformer ou la représenter dans notre entendement autrement que par nos perceptions elles-mêmes. Avoir localisé un point tactile, c’est savoir qu’après avoir perçu une certaine sensation de mouvement volontaire de l’humérus, accompagnée d’une certaine somme de sensations de mouvement volontaire de l’articulation du coude, ma main se trouva en contact avec une résistance. Quant à l’existence objective de la distance, elle n’est que la certitude, ou mieux la conviction, que la même série de mouvements déterminera toujours le même résultat. Vouloir chercher à la réalité de l’espace une autre définition, c’est, me semble-t-il, méconnaitre le rôle même de notre entendement et de nos sens.

M. Tannery a fait remarquer comment la génération de l’espace visuel sur le mouvement conduit à la notion que l’angle de deux directions se trouve relié à l’effort minimum pour passer de l’une à l’autre. J’essayerai, en insistant sur ces considérations, de faire voir qu’elles donnent aux notions fondamentales de la géométrie une provenance sans ambiguïté. La définition de la ligne droite au commencement de la géométrie, le plus court chemin d’un point à un autre, est inat-