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vailleur est rentré en possession de son outil et la propriété, sans laquelle il n’y a pas de liberté possible, est devenue universelle dans l’association. Le vieux système ne subsiste qu’à titre exceptionnel, dans les maisons auxquelles la possession de quelque monopole permet d’offrir à des agents peu nombreux des rémunérations très élevées, et qui tiennent par-dessus tout à ne mettre personne dans le secret de leurs opérations.

— Mais comment le travail coopératif a-t-il surmonté les deux grands obstacles qui s’opposaient à son essor : l’absence de capitaux et le défaut d’une direction intelligente ?

— Par l’instruction, vénérable patriarche, par l’épargne et par la solidarité. Le suffrage universel, disait mon père, fut un saut dans les ténèbres ; il faillit anéantir l’humanité sur cette planète ; il la sauva. Lorsque le gouvernement du suffrage universel eut compris que l’affranchissement pacifique du travailleur était sa tâche, tout devint facile. De même que nes voisins se fabriquaient des ingénieurs et des professeurs en donnant gratuitement une instruction supérieure aux enfants pauvres dont les concours avaient révélé les aptitudes, des séminaires professionnels fournirent des chefs d’atelier et des maîtres commerçants. Ces têtes avaient besoin de bras, les bras avaient besoin de têtes, bras et têtes, besoin d’argent, l’argent, besoin de profits : on se chercha, on s’entendit, on fit des accords équitables. Les associations ainsi formées ne laissaient pas d’offrir quelques garanties matérielles dans l’épargne antérieure des associés, et ceux-ci restant débiteurs solidaires des engagements de l’entreprise, cela suffit pour décider les capitaux en quête d’emploi.

— Ainsi chacun reçoit aujourd’hui la valeur intégrale du travail qu’il exécute ?

— Approximativement, oui. Du moins avons-nous éliminé les deux monopoles sous lesquels gémissaient nos pères, celui du propriétaire terrien et celui de l’entrepreneur.

— Et chacun travaille ?

— Tous ceux qui le peuvent, ou presque tous. Pour trouver exclusivement dans le revenu de ses capitaux les moyens de mener une vie agréable et décente, il en faut une accumulation si considérable que la seule gestion en constitue un travail assez pénible et grandement apprécié.

— Que voulez-vous dire ?

— J’entends les riches qui capitalisent sont considérés comme que des citoyens utiles et comme des bienfaiteurs de leur pays.

— Saint Harpagon alors ! Et quand votre Église célèbre-t-elle sa fête ?