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SECRÉTAN. — mon utopie

semaine ; les ouvriers allemands, les Belges, beaucoup de Français auraient voulu que l’État devint l’unique patron. Les Anglais et les Américains n’avaient pas foi dans cette centralisation de l’industrie et se bornaient à s’associer pour débattre le montant des salaires avec leurs maîtres ; tandis qu’ils réclamaient l’intervention des gouvernements pour limiter la durée du travail dans les usines et sur les chantiers. Des ouvriers étaient parvenus à diminuer leurs frais d’entretien en faisant concurrence aux revendeurs avec des magasins dont ils étaient propriétaires eux-mêmes, et qu’ils appelaient coopératifs ; mais la coopération de production ne jouait qu’un rôle très effacé ; les simples ouvriers qui avaient essayé de s’associer pour l’exercice de quelques industries avaient échoué presque constamment par défaut de crédit, de direction, de discipline ou d’économie ; cinq à six ouvriers sûrs les uns des autres réussissaient quelquefois à monter de petites affaires, et, lorsqu’ils échouaient, les pertes n’étaient pas considérables ; mais l’association coopérative proprement dite ne pouvait pas s’attaquer à la grande industrie, qui exige des millions d’avances, qui occupe des milliers de bras et qui défie toute concurrence par le bon marché de ses produits. Cependant quelques exceptions fameuses prophétisaient déjà les révolutions dont vous m’informez. De leur côté, certains patrons avaient essayé d’associer tout ou partie de leurs ouvriers à leurs bénéfices, sans abandonner la propriété et la direction souveraine de leurs entreprises. Quelques-uns avaient brillamment réussi ; mais plusieurs avaient abandonné ce système au bout de peu d’années, soit qu’ils n’eussent pas obtenu de leurs ouvriers la reconnaissance qu’ils croyaient avoir méritée, soit qu’ils aient reculé devant l’humiliation de n’avoir rien à partager à la fin d’une campagne malheureuse.

— Ces tentatives, monsieur, n’ont pas été perdues. Ce qui, de vos jours, semblait un rêve, est devenu la réalité. Nous avons, je vous l’ai dit, écarté le collectivisme, l’intérêt personnel du travailleur est resté le mobile de la production, mais toute notre industrie est sociétaire aussi bien que notre agriculture. L’État n’est chez nous, pour ainsi dire, qu’une association d’associations. Tous les ouvriers d’une mine ou d’une fabrique en sont plus ou moins copropriétaires. Le capitaliste est tantôt simple créancier moyennant un intérêt fixe, tantôt actionnaire pour son capital ; le directeur, les gérants, les hommes de main sont actionnaires pour le montant de leur épargne, et cette épargne commence automatiquement dès le jour de leur entrée dans l’établissement social. Seuls les auxiliaires de quelques jours touchent intégralement le prix de leurs journées ;