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mais s’il ne trouvait pas de prêteur pour acheter des machines agricoles et des engrais chimiques, c’est que ses terres étaient hypothéquées pour la totalité de leur valeur décroissante. Et quels étaient les détenteurs de ces créances ? Des crédits fonciers, des banques publiques, dont l’administration appartenait à l’État. Lorsque l’opinion, excitée par les succès obtenus ailleurs, commença à se prononcer dans le sens du rachat des terres, le public, sinon l’État, s’en trouvait déjà propriétaire plus qu’à moitié ; il s’agissait moins d’opérer la révolution que de l’avouer, de la régulariser et d’en tirer parti. On en avait déjà les inconvénients, il était temps de s’en procurer les avantages. C’est ce qui explique comment il y eut si peu de résistance, et comment l’État trouva le crédit nécessaire à cette immense opération. On ne racheta d’ailleurs que ceux qui le voulaient bien, ou qu’on pouvait forcer à se liquider par l’application des lois antérieures. Pour tous les autres, on attendit, en prenant les droits de mutation sur les biens-fonds non plus en argent, mais en nature, autant que cela pouvait se faire sans détriment pour le reste des héritages, en limitant l’aptitude à succéder des collatéraux quant aux immeubles, en accordant à l’Etat le droit de préemption et en prenant les mesures nécessaires pour que le propriétaire d’un fonds enclavé dans le domaine public ne pût pas en gêner l’exploitation. La propriété privée de la terre n’est plus aujourd’hui qu’une exception qui tend à disparaître et ne confère plus de privilège. Le sol arable est divisé en fermes de diverses grandeurs, exploitées soit par des familles, soit par des associations d’agriculteurs qui s’en partagent les produits.

— Mais alors, docte forgeron, si votre agriculture perfectionnée exige tant de connaissances et tant d’appareil, tout le profit doit aller aux capitalistes et aux entrepreneurs qui font exécuter les travaux sous leur direction moyennant salaire.

— Non, vieillard, celui qui voudrait travailler ainsi de nos jours n’y trouverait plus son avantage. La main-d’œuvre reviendrait trop cher. Chacun ayant où s’occuper à son compte ne fait de journées au profit d’autrui que moyennant un salaire supérieur à ce qu’il aurait pensé gagner dans sa propre affaire.

— Ce n’est donc plus le salaire qui fournit à l’ouvrier son entretien ? De mon temps, on s’agitait aussi contre lui dans quelques cercles, mais cette opposition de cabinet ne semblait pas de taille à réaliser jamais ses utopies. Quant aux ouvriers, les plus ambitieux, s’ils étaient habiles, parvenaient à s’établir, pour bénéficier à leur tour d’une mieux-value sur le travail de leurs anciens compagnons. La masse ne comprenait pas d’autre moyen de subsister que la paye de la