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campagnes, un beau pays c’est un pays gras ; elle nomme plaisants ceux où, comme ici, l’air est vif et l’horizon vaste.

— Restons à notre sujet, je vous en supplie. Avec l’abondance du capital dont vous tirez gloire, la rente doit s’être énormément accrue ; les propriétaires du sol sont vos maîtres, car enfin sans eux vous ne pouvez rien.

— Si l’agriculture a fait les progrès que vous soupçonnez, et réellement elle en a fait de considérables, c’est que le sort n’en dépend plus de particuliers ignorants, endettés, sans avances, jaloux les uns des autres et toujours prêts à se contrecarrer. La propriété foncière n’existe plus qu’à titre exceptionnel et inoffensif, ainsi pour les habitations, aussi longtemps qu’elles sont occupées par la même famille, mais non pour les terres de rapport ou pour les chantiers, ni même pour les maisons locatives, dont l’impôt varie avec les mouvements de la rente foncière. Nous considérons la propriété comme un effet et comme une garantie de la liberté. Chacun est propriétaire de son œuvre parce qu’il est propriétaire de lui-même. Il peut donner, vendre, léguer ce qui est à lui. Mais ce qu’il n’a point fait et qu’il ne tient point de ceux qui l’ont fait n’est pas à lui. La propriété du sol n’a jamais existé nulle part qu’en vertu des lois de l’État, et les lois ne doivent plus rester en vigueur lorsqu’elles ont cessé d’être utiles. Nécessaire à son jour pour assurer une meilleure culture des champs, répondant aux besoins d’une population croissante, nécessaire alors et par conséquent légitime, la propriété du sol ne fonctionnait plus bien : nous l’avons rachetée. Quelques théoriciens parlaient de la confisquer, c’eût été spoliation toute pure. Une fois les terres dans le marché, elles représentaient le produit du travail pour la totalité de leur valeur, et par conséquent une propriété légitime relativement à leurs possesseurs. Mais le droit de l’État à les racheter n’était pas contestable d’après la législation existante. Chacun est demeuré où il était ; les propriétaires ont reçu en obligations du Trésor l’équivalent capitalisé de ce que leur terrain rapportait en moyenne, et ceux qui l’ont désiré sont restés fermiers de l’État, sans qu’on puisse les déposséder, eux ni leurs familles, sinon contre indemnité spéciale, aussi longtemps qu’ils satisfont aux conditions du contrat. Mais le taux des fermages est révisé tous les dix ans.

— L’établissement d’un tel régime a dû coûter beaucoup de sang.

— Les résistances n’ont été ni bien vives ni bien tenaces, parce que lorsqu’on a proposé des mesures législatives, la liberté de la terre avait déjà gagné son procès dans l’opinion. Le mouvement, commencé par la force des choses, s’est propagé par imitation ; les suc-