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SECRÉTAN. — mon utopie

rité ne se soumet pas aux décrets d’une assemblée : réalisable ou non, l’essai du communisme ne pouvait s’imposer que par une guerre d’extermination. Mais admirez une merveilleuse dispensation de la Providence. Lorsque le suffrage universel amena pour la première fois au Palais législatif une majorité favorable aux revendications du prolétariat, cette majorité, d’ailleurs peu considérable, accordait sa confiance à des chefs humains et de bonne foi. Ils consentirent à faire l’expérience du collectivisme dans un district limité, dont les terres qui n’appartenaient pas encore au domaine public purent être acquises de gré à gré. L’épreuve dura aussi longtemps que le permirent les ressources du canton choisi. Elle échoua complètement, parce qu’il fut impossible de conserver et de renouveler les capitaux. Comment obtenir l’épargne de gens qui ont mis tout en commun dans le but exprès de se procurer une existence plus large et qui trouvent tout au plus ce qu’ils estiment un minimum de bien-être dans la répartition des produits annuels ? On comprit que pour s’infliger à soi-même les privations nécessaires au maintien du capital, il ne suffit pas d’y être intéressé pour quelques millionièmes, mais qu’il faut l’être pour le tout, et que par conséquent l’État ne saurait trouver ses capitaux que dans les fortunes particulières. Charger l’État d’amasser des capitaux, lui qui ne savait que grever l’avenir, autant faire garder le chou par la chèvre !

— Mais, alors, si vous avez laissé les capitaux aux particuliers, comment n’avez-vous plus d’oisifs ?

— Nous avons bien des rentiers et des rentières, mais nous n’avons guère d’oisifs que les incapables, dont le nombre tend à baisser. La lésinerie et la paresse ne rencontrent chez nous que le mépris, et pour tenir quelque rang dans le monde en vivant de son revenu, il faut une fortune si considérable que la gestion en devient un travail sérieux. Comptez un peu sur le pied de 1 à 2 francs par heure, l’ouvrier gagne en moyenne 3,000 francs, l’intérêt d’environ 200,000 en titres de sécurité. Vous voyez ce qu’il faut posséder aujourd’hui pour vivre en seigneur.

— À ce compte, en effet, le capital mobilier ne peut plus faire vivre un bien grand nombre de fainéants. Mais la propriété foncière ? Car tout ce qu’a perdu l’intérêt, la rente a dû le gagner. Puisqu’il y a tant de capital et tant de travail disponibles, l’agriculture doit avoir été singulièrement perfectionnée, et réellement je crois en voir des indices, même sur ces pauvres hauteurs, qui m’ont toujours paru si belles.

— Ne dites point belles, mais plaisantes. Dans la langue de nos