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SECRÉTAN. — mon utopie

Nous avons conservé toutes vos formes de sport, nous en avons même imaginé quelques-unes dont le siècle coiffé du carton-peluche ne s’était point avisé ; mais passé vingt ans, nous ne les cultivons guère. Nos enfants fréquentent l’école aussi longtemps qu’ils peuvent y apprendre quelque chose, et l’étude proprement dite n’y remplit pas toutes les heures ; chacun y fait l’apprentissage d’un métier ; plus tard nous continuons presque toujours à l’exercer. Ceux qui sont voués aux professions lettrées que vous appeliez — un peu sottement, sauf votre respect — les professions libérales, travaillent de leurs bras pour varier. Ceux qui tirent d’une occupation manuelle le principal de leur subsistance, lisent, enseignent, écrivent parfois, pour leur amusement, sans en dédaigner le profit. Après quelques essais infructueux, nos pères ont abandonné l’idée d’assurer à tous leurs enfants le même esprit et la même taille ; nous possédons un certain nombre d’hommes d’élite et beaucoup de médiocrités ; mais, quelque niveau qu’il lui soit donné d’atteindre, chacun de nous s’efforce d’être un homme complet. Je ne vous garantis pas qu’on y parvienne, mais on y vise. Ainsi travaux de force, travaux d’adresse, travaux d’esprit se partagent en proportions variables cette moitié des vingt-quatre heures que nous ne passons pas à manger, à dormir et à nous divertir.

— À vous divertir ? Juste ciel ! il vous faut encore des divertissements dans cette vie de cocagne ?

— À nous divertir du travail, ou, si le mot vous choque, à jouer, à nous reposer, car vous savez assez que, sauf le cas d’une prostration complète, l’immobilité ne repose pas. Et se divertir du travail, pour plusieurs d’entre nous, c’est avant tout se recueillir ; nous ne cherchons pas à sortir de nous-mêmes, parce que nous sommes heureux en nous possédant, c’est-à-dire en sentant que Dieu nous possède. Ce qui remplit avant tout nos loisirs, c’est Celui qui nous soutient dans la fatigue. Le culte n’est pas un jeu, si vous voulez, mais ce n’est pas non plus un travail, c’est une joie. Les mots, vieux professeur d’où savait-il donc que j’étais professeur ?), ont une étrange destinée. Récréer signifie à peu près la même chose que régénérer, il est seulement un peu plus fort. Mais combien ces deux verbes ne se sont-ils pas éloignés l’un de l’autre ! Eh bien, nous essayons de les rapprocher. Qu’elle en soit le but, qu’elle soit le point de départ ou la source, la régénération est toujours au fond des récréations qui nous plaisent. »

Ce maréchal ferrant me semblait terriblement ferré sur l’étymologie, il rendait la grammaire fort édifiante, mais je n’osai pas m’engager dans les grands sujets qu’il venait d’ouvrir. « De mon temps,