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— Mais y a-t-il lieu de faire une différence essentielle entre deux phénomènes semblables dans leur forme, parce que l’un compte quelques éléments de plus que l’autre ?

Mais si nous ne nous arrêtons pas, jusqu’où serons-nous conduits ? Nous sommes logiquement amenés à admettre la généralisation chez les animaux. Jusqu’ici rien d’inadmissible, nous aurons occasion d’en voir des exemples ; mais chez quels animaux devons-nous l’admettre ? Évidemment chez tous. Il n’est pas jusqu’aux micro-organismes, jusqu’aux êtres mono-cellulaires, dont M. Binet a récemment exposé la psychologie, qui ne présentent des rudiments de cette faculté de généralisation, du moins dans la façon dont ils absorbent leur nourriture, qui évidemment n’est pas toujours absolument identique à elle-même et qui nécessite bien qu’une réaction semblable réponde chez l’être à des excitations analogues, mais différentes à quelque degré. Je pense qu’il faut s’arrêter ici. Quelques psychologues ont cherché des analogies entre le monde organique et le monde inorganique. Léon Dumont, par exemple, voyait une sorte d’habitude dans la serrure qui joue mieux après avoir servi, dans l’habit qui, porté longtemps, s’adapte à la forme particulière du corps, etc.[1]. De pareilles analogies sont, semble-t-il, trop lointaines pour pouvoir être utiles à quelque chose. Le fait est qu’un moulin à café serait capable de moudre autre chose que du café, qui lui ressemblerait cependant par la grosseur des grains et leur dureté, — et, avec les habitudes courantes de falsifications, on peut trouver déplorable cette faculté de généralisation, — mais un tel exemple ne peut guère être qu’une parodie.

Remarquons toutefois combien cette généralisation, que Ton remarque dans ces états inférieurs de l’esprit, est vague, sans portée, sans précision, flottante, mal faite, peu durable. Il en est ainsi du moins de celle de l’enfant et de l’homme primitif. Mais ici nous avons une remarque à faire, c’est qu’elle est beaucoup plus vague chez l’homme primitif et chez l’enfant pour le langage, par exemple, et même pour d’autres choses, que chez les animaux pour beaucoup de tendances actives. Il n’y a là rien de surprenant, si nous remarquons que ces états, que nous recherchons chez l’homme primitif et qui nous paraissent constituer ses caractéristiques, sont précisément ceux qui sont le moins organisés, le plus récemment acquis. Mais une réflexion qui se présente immédiatement, c’est que nous sommes toujours primitifs en quelque chose et que, tant que l’évolution humaine ne sera pas terminée, ce qui n’arrivera pas, sans

  1. L. Dumont, De l’Habitude (Rev. philosophique, avril 1876).