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pas un évolutionniste sans doute ne contestera que l’homme ait pu passer d’un état à l’autre, et que ce soit bien la même propriété de l’esprit ou, si l’on veut, du système nerveux qui se manifeste dans les deux cas.

Au reste, on peut remonter plus haut encore et je ne sais pas trop pourquoi on s’arrêterait au langage pour apercevoir des généralisations. On peut, dans des états encore bien plus indifférenciés que celui de l’enfant qui commence à parler, percevoir des généralisations de même ordre. On pourrait d’abord s’en douter à priori si l’on réfléchit que ce que nous appelons l’état primitif de l’homme est en réalité quelque chose de très vieux, de très perfectionné relativement. D’abord si l’on accepte la théorie transformiste, et il est bien difficile de ne pas l’accepter comme représentant très probablement la vérité, l’homme nous apparaît comme le résultat d’une longue évolution psychique commençant aux premiers êtres, aux organismes sans organes et se continuant à travers une série de générations animales dont nous ne pouvons nous faire aucune idée bien précise. Il est à croire de plus que l’homme n’a pas parlé du jour où il a paru sur la terre ; on a pu penser, d’après l’examen de la mâchoire de la Naulette et en se fondant sur le manque de l’apophyse géni, que l’homme à qui elle appartenait, n’avait pas le langage articulé. Les plus anciennes traces de langage que nous puissions retrouver, sont certainement de beaucoup postérieures à l’origine de l’homme. De même, l’enfant résume en lui de longues générations antérieures, il apparaît déjà formé par la vie fœtale, il ne parle que plusieurs mois après sa naissance. Il est à croire a priori qu’il manifestait auparavant quelques traces de cette faculté de généralisation que nous cherchons en lui. En effet, si on donne à l’enfant qui vient de naître le haut du doigt, il se met à le téter, il tette aussi, bien souvent, une autre femme que celle qui l’allaite ordinairement, il prend le biberon. Il y a là évidemment une série d’actes d’une ressemblance frappante[1] et, si nous trouvions une généralisation dans les premiers essais de son langage, il nous faut en trouver une également dans les erreurs ou dans les adaptations de ses premiers actes. Dans les deux cas, en effet, nous trouvons les mêmes éléments : une réaction commune en présence d’objets qui présentent une certaine analogie mêlée à des différences. Dans un cas, il s’agit seulement d’une réaction des lèvres et de la langue ; dans l’autre cas, d’une réaction des lèvres, du larynx, de la langue, etc.

  1. Voyez d’autres faits analogues, Bernard Ferez, la Psychologie de l'enfant : les trois premières années, 2e éd., p. 158-159.