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ANALYSES.tönnies. Gemeinschaft und Geselschaft.

générale à toute relation qui résulte d’une entente, l’auteur se sert de la première expression pour caractériser la Gemeinschaft.

Mais nous connaissons un autre mode de groupement : c’est celui que nous pouvons observer dans les grandes villes des grandes sociétés contemporaines. C’est là qu’il faut observer, presque à l’état de pureté, ce que M. Tönnies appelle la Gesellschaft.

« La Gesellschaft implique un cercle d’hommes qui, comme dans la Gemeinschaft, vivent et habitent en paix les uns à côté des autres, mais au lieu d’être essentiellement unis sont au contraire essentiellement séparés, et tandis que dans la Gemeinschaft ils restent unis malgré toutes les distinctions, ici ils restent distincts malgré tous les liens. Par conséquent, il ne s’y trouve pas d’activités qui puissent être déduites d’une unité existant a priori et nécessairement et qui expriment la volonté et l’esprit de cette unité… Mais chacun est ici pour soi et dans un état d’hostilité vis-à-vis des autres. Les divers champs d’activité et de pouvoir sont fortement déterminés les uns par rapport aux antres, de sorte que chacun interdit aux autres tout contact et toute immixtion… Personne ne fera rien pour autrui à moins que ce ne soit en échange d’un service similaire ou d’une rétribution qu’il juge être l’équivalent de ce qu’il donne… Seule la perspective d’un profit peut l’amener à se défaire d’un bien qu’il possède » (p. 46, 47).

C’est, on le voit, l’antipode de la Gemeinschaft. Les consciences, naguère confondues, sont ici différenciées et même opposées les unes aux autres. Tandis que la première forme de société est celle que décrit de préférence un Hegel par exemple, on reconnaît dans la seconde la théorie de Bentham. Suivant l’auteur, ces deux types de vie sociale, que l’on oppose sans cesse et que l’on présente comme exclusifs l’un de l’autre ont tous deux existé et se sont successivement développés au cours de l’histoire. Le second est né du premier : la Gesellschaft de la Gemeinschaft. Comment s’est faite cette filiation ? C’est que la pénétration des consciences que supposait la communauté n’était possible que dans des groupes peu étendus. Car c’est à cette condition seulement qu’on peut se connaître assez intimement. À mesure que les agrégats sociaux sont devenus plus volumineux, la société a pesé moins lourdement sur l’individu. Celui-ci s’est donc trouvé tout naturellement émancipé et c’est de ce spectacle que nous sommes actuellement les témoins. L’émancipation est d’ailleurs progressive ; les débuts en remontent loin derrière nous, et rien ne permet de croire que nous en avons sous les yeux les résultats derniers et définitifs.

Ainsi, tandis que précédemment le tout était donné avant les parties, ce sont maintenant les parties qui sont données avant le tout. Celui-ci n’est formé que par leur juxtaposition. C’est pourquoi, tandis que la composition de la Gemeinschaftétait organique, celle de la Gesellschaft est mécanique. Telle est la différence essentielle d’où dérivent les autres.

Il est d’ailleurs inutile de déduire les principaux caractères de la